Par : Dr Souad JAMAÏ
Devant les changements et les avancées qui transforment le monde médical, nous sommes en droit de nous demander comment nous serons soignés demain, comment nous pourrons garder une médecine humaine.
Aujourd’hui, devant la pénurie de médecins dans le monde, une nouvelle question se pose : Qui nous soignera demain ?
La santé des individus est liée à la santé du secteur médical, et dans de nombreux pays elle se porte très mal. La France et le Maroc, dont les enjeux sont complètement différents mais qui par la force des choses (l’histoire, la proximité, la langue…) sont liés dans ce domaine précis qu’est la médecine. Il faut comprendre ces liens pour imaginer l’avenir.
L’admission aux études de médecine a toujours été très sélective, bien que personne n’en comprenne la véritable raison. Certains pensent que cette sélection est imposée par les médecins, c’est une information complètement erronée, les seules décisions dans ce domaine appartiennent à l’état.
Dans certains pays d’Europe, la sélection scientifique s’associe à une sélection qui prend en compte les capacités de raisonnement, l’esprit de synthèse, le sens de l’éthique, l’empathie et la capacité à communiquer et à argumenter, et ces capacités seront développées transversalement et en continu durant les études. Comme dans d’autres métiers, en médecine il faut apprendre à relever les informations, les analyser, avoir un esprit de synthèse, émettre des hypothèses, les hiérarchiser, les contextualiser. Il ne suffit pas d’avoir un bagage de connaissances, la réflexion a une place très importante. Le raisonnement doit être objectif, les décisions doivent être prises avec équité et dans le respect le plus total du patient tout en tenant compte de sa situation sociale. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, ses qualités humaines doivent encore plus être les priorités de tout médecin.
Certains cours doivent faire partie du cursus médical, comme l’épistémologie des sciences qui est une réflexion philosophique sur les méthodes scientifiques générale sur l’art de guérir, des travaux pratiques, illustrant le cours de psychologie, permettant de familiariser l’étudiant à la technique de l’entretien avec le malade; L’équilibre entre sciences humaines (psychologie, épistémologie, évolution de la réflexion scientifique, santé publique, épidémiologie, économie de la santé) et les sciences purement médicales est indispensable.
En France, certaines régions sont en détresse médicale grave et les déserts médicaux s’élargissent. Le manque de médecin est tel que la plupart des praticiens ne sont plus en mesure d’accepter de nouveaux patients. Certaines familles n’ayant pas trouvé de pédiatre ou de généraliste pour les prendre en charge se sont retrouvées dans l’obligation de déménager. Les médecins qui partent à la retraite ne trouvent pas de successeurs même en cédant gracieusement leur cabinet. Les conséquences de cette pénurie dramatique de médecin est visible au Maroc, puisque depuis quelques années nous observons un changement au niveau de la population des MRE qui consulte durant leurs vacances au Maroc et financent leurs examens complémentaires craignant de ne pas trouver de rendez-vous dans leur pays de résidence. De leur côté, les médecins marocains sont harcelés par les agences européennes spécialisées dans le recrutement de médecins. Ces agences sont prêtes à accompagner le médecin dans ses démarches administratives pour obtenir les équivalences nécessaires pour exercer en Europe.
Qu’en est-il au Maroc ?
La pénurie de médecin existe puisqu’il y a un manque de 36 000 médecins, mais ceci n’est pas visible dans les grandes villes parce que les médecins y sont concentrés. Cette concentration est telle que l’on peut obtenir un rendez-vous chez un spécialiste en 24 heures. La raison principale de cette grande disponibilité des médecins dans les villes n’est pas seulement du fait de leur concentration mais surtout en rapport avec le peu de moyens de la population qui ne peut avancer les frais et attendre un remboursement et a donc beaucoup de mal à franchir la porte des cabinets privés. Certes, plus de 80 % de la population est actuellement couverte par l’AMO, ce qui est une avancée remarquable, mais le tiers payant n’est appliqué que dans les cliniques pour la chirurgie ou les actes couteux. Le tiers payant ne profite ni aux médecins libéraux en cabinet ni aux patients ayant des maladies chroniques, il ne profite qu’aux cliniques qui prospèrent puisqu’elles sont directement alimentées par les organismes assureurs et les mutuelles.
Les solutions pour améliorer le paysage médical sont nombreuses, l’une des plus urgentes serait de rendre à l’hôpital public sa première place dans le paysage médical, un hôpital public fort, bien équipé, dans lequel les médecins enseignants seraient encouragés, soutenus, motivés, pour rester à la disposition des patients et des étudiants en formation, un hôpital qui retrouverait la confiance de la population.
Mais une question de taille ne doit pas être occultée, comment garder cette profession attractive sachant que :
- sur 1300 médecins formés, 800 quittent le pays pour continuer leur formation dans des pays qui les rémunèrent à leur juste valeur.
- que sur l’échelle sociale le médecin est passé de la 3ème position à la 27ème en 50 ans
- que les jeunes médecins installés dans le secteur privé depuis moins de trois ans, peinent à payer les charges très lourdes de leur cabinet et nombreux sont en train de fermer pour devenir salariés dans de grands groupes.
- L’ouverture de l’exercice de la médecine aux étrangers n’a attiré personne puisque seulement 41 dossiers de demande ont été déposé en 2021, pour la plupart par des étrangers vivant déjà au Maroc.
- Que les 14 000 médecins marocains exerçant à l’étranger n’ont aucune raison de venir s’installer au Maroc puisque personne ne leur offrira les avantages qu’ils ont à l’étranger.
Tous ces constats permettent de dire que la médecine n’est plus attractive, que le médecin du futur sera forcément salarié dans des structures qui ne viseront que le rendement. Dans notre pays le statut du médecin est en chute libre, perdant sa motivation et la reconnaissance de la population, tandis que de l’autre côté de la méditerranée, la pénurie est telle que tout est fait pour attirer le médecin marocain, que celui-ci soit en cours de formation ou proche de la retraite. Tant que le statut des étudiants en médecine n’est pas revalorisé, tant que le tiers payant n’est pas instauré dans les cabinets privés, tant que la carte sanitaire n’est pas appliquée, et que le métier de médecin n’est plus attractif, il y a un risque de voir les médecins fuir vers des cieux plus cléments.
Dr Souad JAMAÏ
Cardiologue et écrivaine
Pour les 800 médecins qui quittent le pays sur 1300 formes …ce chiffre n est pas sur car la France bloque l arrivée des médecins marocains par des conditions de recrutement très difficiles . Par contre oui tout les étudiants en médecine veulent être spécialistes et partent se former même en Afrique.
La plupart des étudiants en médecine et ou des jeunes diplômés vont en Belgique ou en Allemagne( pour la Belgique après un concours et pour l’Allemagne, il suffit d’avoir un niveau d’allemand B1. Peu d’entre eux se dirigent vers la France, les chiffres ( 800 sur 1300 ) sont des chiffres officiels du ministère
Dans « Exode des compétences médicales au Maroc : Menaces ou opportunités ? », l’auteur et secrétaire général de la FEML, Pr Mouhcine El Bakkali, explore les causes de cette migration et propose des solutions durables. Les chiffres sont préoccupants : chaque année, environ 600 médecins marocains choisissent de s’installer à l’étranger. Cet exode, alimenté par des raisons allant de la recherche d’épanouissement professionnel et personnel à des motivations financières, creuse un déficit de plus de 30 000 médecins et 60 000 personnels infirmiers.
Étrangement, une loi autorisant les médecins étrangers à exercer au Maroc n’a pas réussi à inverser la tendance. Peu de temps après son entrée en vigueur, moins de dix demandes d’installation de médecins étrangers ont été enregistrées.