
PEUT-ON INVOQUER LE CAS DE « FORCE MAJEURE »
EN MATIERE DE CONTRATS ?
ET QUELLES SONT LES CONSEQUENCES QUI EN DECOULENT
EN CAS DE COVID-19 ?
La crise sanitaire mondiale qu’a causée le COVID-19, considérée depuis le 30 mars 2020 par l’OMS comme situation pandémique, n’a pas manqué inéluctablement de provoquer un changement dans notre mode de vie quotidien et un bouleversement dans notre économie.
De nombreux employés sont passés du travail traditionnel au télétravail, d’ autres ont vu leur contrat de travail suspendu, et beaucoup ont été remerciés ou le seront lorsque leurs employeurs seront contraints de déposer leur bilan.
A cet égard, nous devons nous demander si cette pandémie, en tant qu’événement imprévisible, ne deviendra pas un prétexte idéal pour excuser la non-exécution totale ou partielle de leurs obligations contractuelles et donc tenter de les décharger de toute responsabilité quelle qu’elle soit.
Que dit le législateur marocain ? L’épidémie COVID –19 pourrait-elle être considérée comme cas de force majeure et quelles en sont les effets sur les contrats en cours ?
EN DROIT MAROCAIN :
Afin d’endiguer la propagation du virus sur le territoire marocain, les autorités compétentes ont pris des mesures radicales tant au niveau interne qu’externe, soit par la fermeture des frontières, soit par la fermeture des cafés, restaurants, cinémas, bains publics ou toutes activités etc.… sans oublier qu’ ils ont assigné les citoyens à limiter leurs déplacements et à se conformer à l isolement sanitaire chez soi. Ceci dit avec ces mesures de l’état d’urgence, l’épidémie COVID-19 pourrait-elle être considérée comme un cas de force majeure en droit marocain ?
Qualification de la notion de « force majeure » :
« La force majeure » est définie en droit civil marocain par l’article 269 du Dahir formant Code des Obligations et des Contrats qui prévoit que :
« La force majeure est tout fait que l’homme ne peut prévenir, tels que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation. N’est point considérée comme force majeure la cause qu’il était possible d’éviter, si le débiteur ne justifie qu’il a déployé toute diligence pour s’en prémunir. N’est pas également considérée comme force majeure la cause qui a été occasionnée par une faute précédente du débiteur.»
Ainsi tout événement empêchant une partie à un contrat d’exécuter ses obligations peut donc être qualifié de force majeure lorsqu’il présente les trois caractéristiques suivantes :
- L’imprévisibilité de l’événement lors de la conclusion du contrat.
- L’irrésistibilité de l’événement qui rend l’exécution du contrat impossible et non pas seulement plus onéreuse ou plus compliquée.
- L’extériorité de l’événement qui échappe au contrôle de la partie qui ne peut plus exécuter ses obligations.
Bien que la pandémie de COVID-19 ait de grande chance d’être considérée comme un événement de force majeure, on est en droit de se poser les questions suivantes : les mesures prises par le gouvernement marocain sur la base de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire pour freiner la pandémie ne constitue- t- elle pas précisément un « fait de prince ». Le fait du prince peut-il être soulevé par un employeur pour justifier ses mesures sociales qu’il aura prises pendant cette période.
« Le fait du prince » peut être défini comme un événement qualifié de force majeure, ayant pour cause une décision arbitraire ou unilatérale d’une autorité publique. Le Dahir des Obligations et des Contrats (DOC) marocains n’apporte pas de définitions du fait de prince mais ce dernier est mentionné à l article 269 du Dahir précité comme cas de force majeure.
Généralement cette théorie du fait du prince se rapporte à l indemnisation de mesures prises par une autorité publique extérieure à un contrat qui ont pour effet de bouleverser l’économie du contrat et rendre plus difficile ou impossible l’exécution de celui-ci.
Il est en effet fait mention du fait du prince dans le cas de la vente. En effet, selon l article 546 du DOC le vendeur n’est tenu d’aucune garantie lorsqu’ une éviction dépend du fait du prince à moins que le fait du prince ne se fonde sur un droit préexistant qu’il appartenait au souverain de déclarer ou de faire respecter ou sur un fait imputable au vendeur.
Cette notion se trouve également dans la location des choses. L’article 651 du DOC dispose que : « lorsque la chose louée est soustraite au preneur par le fait du prince ou pour cause d’utilité publique, le preneur peut poursuivre la résolution du bail et n’est tenu de payer le prix à la proportion de sa jouissance. Cependant, si le fait du prince ou l’expropriation n’a porté que sur une partie de la chose, le preneur n’a droit qu’à une réduction de prix et il peut poursuivre la résolution si par l’effet de la diminution que la chose a subie, elle ne peut plus servir à sa destination ou si la jouissance de ce qui en reste est notablement amoindrie ».
En considération de ce qui précède, on peut conclure que « le fait du prince » peut avoir un effet exonératoire de responsabilité. Ainsi le vendeur se voit déchargé de son obligation de garantie lorsqu’ une dépossession survient par le fait du prince. Elle permet en outre au débiteur qui justifie que l’inexécution ou le retard de son obligation proviennent d’une cause qui ne peut lui être imputée, de ne pas avoir à payer de dommages et intérêts.
Toutefois, la qualification de force majeure serait toujours soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, marocains, seuls habilités à déterminer si l’épidémie COVID-19 est une force majeure au cas par cas et de mettre en place des mesures adéquates pour éviter les effets néfastes sur l’exécution du contrat (Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation n 285 du 27/03/2018 matière sociale et Cour d Appel de Marrakech n 389 du 24/09/2008 matière administrative).
Les effets de la qualification de la force majeure aux contrats :
L’Article 269 du DOC : « Il n’y a lieur à aucun dommage et intérêt lorsque le débiteur justifie que l’inexécution ou le retard proviennent d’une cause qui ne peut lui être imputée, telle que la force majeure, le cas fortuit ou la demeure du créancier »
Si la qualification de force majeure est retenue, en particulier celle de « fait du prince », cela aura pour conséquences principales :
- en cas d’empêchement temporaire, de suspendre l’exécution du contrat (à moins que le retard résultant de cette suspension ne justifie la résolution du contrat). L’exécution du contrat devra donc reprendre dès que la force majeure ne sera plus caractérisée, il importe donc d’être très vigilant quant à l’évolution de la situation ; ou
- en cas d’empêchement définitif, de provoquer la résolution de plein droit du contrat et de libérer les parties de leurs obligations. Cependant, aux termes de l’article 1351 du Code civil, le débiteur n’est libéré de l’exécution de ses obligations qu’à due concurrence de l’impossibilité rencontrée ; la force majeure ne libère donc pas automatiquement de l’ensemble des obligations prévues par le contrat.
En toute hypothèse, la bonne foi du cocontractant est de mise, jusque dans l’invocation de la force majeure.
Aussi, comment déterminer si l’entreprise ou le professionnel font face à un cas de force majeure les exonérant de devoir payer des dommages-intérêts en cas de retard ou d’inexécution et comment en bénéficier de manière concrète ?
♣En effet, il faut bien lire le contrat pour s’assurer des aménagements de la force majeure qu’il prévoit, le cas échéant ;
♣ Il faut s’assurer que tous les éléments constitutifs de la force majeure soient réunis.
♣ Et si tel est le cas, il est normalement requis d’en informer le cocontractant aussitôt que possible, ainsi que de l’effet de la force majeure sur l’exécution du contrat.
En cas d’impossibilité temporaire (retard), il est conseillé de donner la date prévue pour l’exécution de l’obligation.
♣ En cas de litige sur la qualification de la cause du retard ou de l’inexécution comme résultant d’un cas de force majeure, il est préférable de privilégier la soumission du différend à l’arbitrage pour obtenir une réponse plus rapide et éviter de recourir aux tribunaux afin de limiter les conséquences dommageables de l’inexécution du contrat.
À l’inverse, l’effet exonératoire de la force majeure pourrait être écarté en cas de négligence fautive ou de mauvaise foi du débiteur qui s’en prévaut.
Ainsi, après avoir vérifié les dispositions du contrat, et en particulier toute clause relative aux conditions, modalités et effets de la force majeure, une entreprise souhaitant suspendre l’exécution de ses obligations ou mettre fin à son contrat devra démontrer les éléments suivants :
- Qu’elle n’était pas en mesure d’anticiper la crise sanitaire actuelle, ni les restrictions imposées et leurs conséquences sur le contrat ;
- Qu’elle n’était pas en mesure de mettre en place des solutions alternatives, indépendamment même de leur coût ; et, enfin,
- Qu’il existe un lien de causalité entre l’impossibilité d’exécuter ses obligations contractuelles, la pandémie de la Covid-19 et les mesures prises par les pouvoirs publics pour lutter contre celle-ci.
Ce n’est que dans cette hypothèse que la force majeure pourra jouer son rôle exonératoire. Dans tous les autres cas, c’est l’adaptation et la renégociation du contrat qui permettront aux entreprises de limiter les conséquences de la crise de la Covid-19 en termes de responsabilité.
Références :
Dahir formant code des obligations et des contrats (B.O. du 12 août 1913), tel que complété et modifié.
Décret-loi n° 2.20.292 portant sur les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire et aux procédures de sa déclaration (B.O. n° 6867-bis du 24-03-2020).
Communiqué du Ministère de l’Intérieur, 16-03- 2020.
Le 02 juillet 2020
Pour Maghreb Observateur
I. E /N 7 Avril 2021
Excellent article.