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La guerre des métaux rares a commencé

Qu’appelle-t-on les métaux rares ? Sont-ils vraiment rares ?

Vues d'Afrique

2Les métaux rares sont « rares » selon un critère géologique. Il existe des métaux abondants aussi appelés « grands métaux » comme le cuivre, le zinc, l’aluminium ou le fer. Il existe aussi des métaux dits « rares » qui ont une concentration en parties par million (PPM) beaucoup plus faible. Certains sont mille à trois mille fois plus rares en moyenne qu’un métal abondant. Par exemple, à quantité de roche donnée égale, nous extrairons un kilogramme de fer mais seulement un gramme de néodyme.

3Néanmoins, ces métaux ne sont pas rares, au sens où on en trouve des centaines de milliers de gisements. Récemment, le Japon a annoncé avoir trouvé des gisements de nodules polymétalliques au fond du Pacifique permettant des centaines d’années de consommation possible de ces terres rares.

4La « rareté » de ces métaux tient aussi au fait que leurs marchés sont très confidentiels. Le marché des terres rares (qui sont une famille des métaux rares) se limite à environ 200 000 tonnes vendues par an, soit en tonnage 100 fois moins que le marché du cuivre et 10 000 fois moins que le marché du fer. Si certains métaux rares et non-rares sont cotés en bourse au London Metal Exchange, une bonne partie des métaux rares ne le sont pas. Ces derniers sont largement échangés sur des marchés de gré à gré qui sont par conséquent relativement confidentiels et opaques.

5Un grand nombre de ces métaux rares sont soumis à des risques de pénurie d’approvisionnement et sont donc listés comme « critiques » par la Commission européenne. Une pénurie peut apparaître à court ou moyen terme du fait d’un choc de demande impossible à absorber par le tissu industriel insuffisamment développé. La rareté n’est donc pas une rareté géologique mais industrielle, qui découle d’une défaillance des acteurs de marchés à servir la demande.

6Ces matières premières semblent mal se prêter à une structure de marché concurrentielle…

7Les prix de ces métaux sont aujourd’hui très bas, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, nous sommes au creux d’un « super cycle » des matières premières. De plus, la Chine est soupçonnée de manipuler les prix de marché en vendant à perte. Aujourd’hui, une entreprise minière non chinoise qui voudrait se lancer sur ce marché aurait beaucoup de difficultés à tirer un profit à cause du dumping social et environnemental pratiqué par la Chine. En ce qui concerne les terres rares, très peu d’entreprises tentent de concurrencer les Chinois  [1][1]On trouve seulement l’entreprise australienne Mynas,… car dans ce contexte, les perspectives de bénéfice sont minces. Ce sont des marchés très spécifiques, très spécialisés, pour lesquels il faut une grande expertise technique et commerciale.

8Les gros producteurs miniers comme Rio Tinto ne voient absolument pas l’intérêt d’aller extraire ce type de métaux qui ne représentent qu’une fraction marginale de leurs revenus totaux. Ces marchés sont donc concentrés dans les mains de quelques producteurs, provenant de quelques pays en particulier, et sont bien souvent aux mains d’acteurs étatiques. Dans le cas des terres rares, celles-ci sont exclusivement extraites par des State-Owned Entreprises (SOEs) qui perdent probablement de l’argent mais sont soutenues par l’État.

9On assisterait donc moins à une concurrence entre firmes, sur le marché des métaux rares, qu’à une concurrence entre États ?

10S’il est possible d’extraire du cobalt, du lithium ou encore du graphite dans de nombreux pays, le processus de raffinage est très polluant et subit donc un effet Nimby  [2][2]De l’anglais « Not In My BackYard ». Cet effet désigne…. Il en va de même pour une mine, qui reste une grande entaille dans le sol : la mine propre n’existe pas. À la différence du pétrole, qui peut être extrait uniquement dans les pays où il est présent en quantité suffisante, les métaux rares ne sont pas exploités dans certains pays pour des questions environnementales.

11Historiquement, les pays occidentaux ont longtemps été producteurs de minerais, et fournisseurs de matières premières. À partir des années 1990, quasiment toutes les mines occidentales ferment, et les ouvertures dans les pays occidentaux s’arrêtent car ces derniers refusent d’assumer la pollution. Ces dernières sont remplacées par d’autres mines dans des pays qui affichent un retard économique et qui acceptent ces dégradations environnementales pour effectuer leur rattrapage économique, aidés par une régulation environnementale laxiste ou inexistante.

12Le monde s’organise alors entre pays producteurs, qui vont dégrader l’environnement, et pays acheteurs de ces métaux qui ne veulent pas porter la responsabilité directe de ces dégradations. Il en résulte une concentration du marché non corrélée à la disponibilité des ressources : en d’autres termes, ce n’est pas parce que 90 % de la production se trouve concentrée dans quelques pays que 90 % des gisements s’y trouvent. On a laissé sciemment la production à ces producteurs, d’un commun accord, de sorte que des pays se retrouvent désormais les seuls producteurs globaux de ces métaux rares.

13Quel est le rôle stratégique des métaux rares ?

14Leurs applications sont extrêmement variées. Aujourd’hui, la transition énergétique ne pourrait avoir lieu sans les métaux rares  [3][3]Une récente étude de l’ADEME montre qu’il n’y a pas de terres…. On ne peut également pas faire de transition numérique sans ces métaux rares et, d’une manière plus générale, l’ensemble des technologies sur lesquels les États investissent (telles que l’hôpital connecté, l’intelligence artificielle ou les biotechnologies) ne peuvent pas se passer de métaux rares à moins d’utiliser beaucoup plus de ressources.

15Les métaux rares constituent la face tangible de cette révolution technologique et énergétique et deviennent, de fait, hautement stratégiques. La Chine, qui a dû subir le fardeau des métaux rares, détient subitement une manne grâce à son quasi-monopole sur cette production. Les métaux rares sont alors associés à deux enjeux stratégiques :

161°) Le pays dispose de matières premières pour produire ses propres technologies. Un boulanger qui ne produit pas de farine met la clé sous la porte le jour où son fournisseur arrête de lui en livrer. Au contraire, si le boulanger assure son approvisionnement en farine en achetant le champ de blé pour pouvoir faire ses propres moissons, il est certain de pouvoir produire son pain. Si, de plus, son concurrent est dépendant de sa farine, le boulanger peut arrêter de lui vendre de la farine pour qu’il ferme à son tour. La Chine, comme ce boulanger, a compris que si elle produisait la matière première, elle pouvait la garder pour elle et développer ses propres technologies. Cela recoupe la distinction entre innovation « exogène » et innovation « indigène » : d’abord, on développe une innovation en allant se servir du savoir-faire occidental exogène, puis on en fait un développement indigène. La stratégie chinoise est alors d’attirer des Occidentaux sur le territoire chinois, notamment grâce à l’accès aux ressources, pour apprendre d’eux et pouvoir créer ses propres technologies avec ses propres brevets, remontant ainsi la chaîne de valeur. La Chine n’est plus un vendeur de métaux, mais un vendeur de téléphones portables et même le champion des technologies vertes. On assiste à la transition du « Made in China » au « Created in China ». Il faut donc se départir de l’idée de la Chine comme « atelier du monde » qui ne ferait qu’assembler des jouets, coudre des jeans et faire des circuits imprimés : aujourd’hui, la Chine devient une grande puissance d’innovation.

172°) Les terres rares comme instrument diplomatique : en 2010, la Chine a par exemple établi un embargo sur les terres rares vers le Japon  [4][4]« Amid Tensions, China Blocks Vital Exports to Japan », The New… pendant six mois pour infléchir les négociations diplomatiques en pleine crise sur les îles Senkaku. Plus récemment, la visite de Xi Jinping dans une usine de traitement des terres rares dans le sud-ouest de la Chine  [5][5]« Xi’s visit boosts China’s critical rare-earth sector »,… a été interprétée comme un avertissement à l’égard de Donald Trump dans le cadre de la guerre commerciale sino-américaine.

18Dans ce cas, serait-il possible voire souhaitable pour les pays Occidentaux de relocaliser la production des métaux rares ?

19C’est ici qu’il faut revenir à la notion de concurrence. Quelle peut-être la concurrence occidentale dans ce contexte ? Nous sommes aujourd’hui dans une situation de dépendance. Comment contourner les Chinois, diversifier l’approvisionnement et pourquoi pas, ouvrir des mines ? Cela soulève une différence assez fondamentale entre Occidentaux et Chinois : les Occidentaux sont dans une logique de rentabilité de l’investissement, face à un pays, la Chine, qui ne fonctionne pas avec une logique capitaliste. Cette dernière accepte d’avoir un secteur des métaux rares déficitaire et financé avec des fonds publics. L’important pour elle n’est pas de gagner de l’argent mais de casser la concurrence de sorte qu’elle s’arroge la production mondiale puis s’en serve comme d’un levier économique et géopolitique. Le coût du capital ainsi que les normes sociales et environnementales empêchent les entreprises occidentales d’être compétitives face à la Chine.

20La question est alors de savoir comment réintroduire de la concurrence sur ce marché via un regain de compétitivité des entreprises européennes. Des outils anti-dumping comme une taxe carbone à l’importation restent compliqués à mettre en œuvre. Reste alors l’innovation technologique afin de recycler, de raffiner ou d’extraire des matières premières à des coûts inférieurs, ce qui sera difficile. Peut-être faudra-t-il accepter de payer plus cher pour nos produits : ce sera le prix de l’indépendance.

21Que pensez-vous de l’idée selon laquelle les économies modernes pourraient réussir à se départir de toute matérialité ?

22Nous sommes aujourd’hui dans une forme de schizophrénie où l’on souhaite à la fois augmenter le pouvoir d’achat des ménages, plus de croissance et, en même temps, limiter les dégâts sur l’environnement : la « croissance verte ». C’est un peu la quadrature du cercle… On peut le comprendre en s’intéressant au concept de découplage. L’idée du découplage est que pour un même euro de richesse créé, moins de matière et moins d’énergie vont être utilisées. C’est là qu’intervient le concept de matérialité, ou plutôt de dématérialisation. Le numérique permettrait de basculer dans une économie de services qui devrait avoir un impact quasiment nul sur l’environnement, par exemple en créant des sites internet sur lesquels on peut acheter des salades sur le point d’être jetées afin de limiter le gaspillage. Il vend le rêve d’une certaine immatérialité, d’une création de richesses qui ne repose sur rien.

23En réalité, ce modèle est consommateur de ressources : il faudrait prendre en compte la pollution associée à leur fabrication et à la consommation d’énergie (elle-même produite à 40 % par du charbon) associée à leur utilisation. La prise en compte de la totalité de ces coûts donne à voir un bilan plus terne des technologies du numérique.

Notes

  • [1]On trouve seulement l’entreprise australienne Mynas, l’entreprise Monitor aux États-Unis, quelques entreprises en Birmanie.
  • [2]De l’anglais « Not In My BackYard ». Cet effet désigne l’opposition locale à l’implémentation d’activités nécessaires globalement mais génératrices de nuisances à l’échelle locale.
  • [3]Une récente étude de l’ADEME montre qu’il n’y a pas de terres rares mais des métaux rares dans les panneaux solaires, qu’il n’y en a pas dans toutes les éoliennes, etc. (ADEME, 2019). Cette étude est intéressante mais n’enlève rien au fait qu’il faille des métaux rares pour ce type de technologies : on ne peut pas faire de transition énergétique sans métaux rares en général, et il ne faut pas prendre le problème par le petit bout de la lorgnette en ne traitant que du problème spécifique des terres rares.
  • [4]« Amid Tensions, China Blocks Vital Exports to Japan », The New York Times, 22 septembre 2010.
  • [5]« Xi’s visit boosts China’s critical rare-earth sector », Global Times, 5 mai 2019.

Source : https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2019-2-page-212.htm#no3

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