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L’Igloo des errances identitaires, un livre de Majid Bilal où narration et poésie s’harmonisent..

Quand Majid Blal m’a demandé une préface pour son recueil, , je me suis dit in petto : « Encore un tapuscrit comme les autres ! » Quelques jours plus tard, j’en ai commencé la lecture, sans me faire d’illusion. A peine ai-je lu l’incipit que j’ai pris conscience de ma méprise, de ma lourde méprise, dois-je dire : l’écrit que je croyais semblable à ceux qu’on m’envoie régulièrement, s’avère une heureuse découverte, doublée d’un plaisir de lecture rare. Une idée me vient alors à l’esprit : écrire à l’auteur pour lui dire que son recueil se passerait bien de ma préface comme de celle de tout autre écrivain, aussi illustre soit-il ; il se passerait également de toute relecture puisque le livre est parfaitement bien écrit. Ayant promis une préface à Majid, je renoncerai finalement à mon idée, chose promise, chose due, dixit le dicton.

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L’Igloo des errances identitaires est un recueil comprenant trente-six récits, majoritairement autobiographiques : des histoires du pays et d’ailleurs, des poèmes en prose, des poèmes en vers, des fables, des réflexions, des impressions, un hymne à l’amazigh et à tous ceux et celles qui se battent pour que cette merveilleuse langue revive, un autre au pays d’origine, un troisième au pays d’accueil, une définition avisée de « la marocanité » que nos concitoyens gagneraient à lire  en ces temps d’incertitudes identitaires…

Le narrateur s’identifie à l’auteur dans tous les textes, hormis un, Noisette, où c’est une certaine Marie-Claire, que je suppose être la conjointe de l’auteur, qui assume la fonction de narratrice à la première personne, racontant ainsi sa douleur de femme endeuillée suite à la disparition de Noisette, sa chatte. C’est là sans doute le meilleur hommage qu’un auteur puisse rendre à la femme aimée : lui confier la narration d’un épisode de son autobiographie.

Dans L’Igloo des errances identitaires, les histoires sont aussi vraies qu’originales, la composition y est maitrisée, le style propre, le ton juste et prenant. Trente-six récits et autant de morceaux d’anthologie que j’ai lus d’une traite, malgré mon handicap visuel : une allergie aiguë à la lumière bleue, qui a sensiblement réduit mon temps de lecture sur écran, et mon temps de lecture tout court.

La langue de Majid Blal est une heureuse exception dans la littérature marocaine d’expression française. Une langue riche, fluide, imagée, rythmée, exquise, pour tout dire. Sa prose emprunte tellement à la poésie que, dans certains passages, je me suis surpris à déclamer, au lieu de lire. C’est, à titre d’exemple, le cas de cette sublime déclaration d’amour dans Pèlerinage d’une princesse : « Tu m’es revenue. Comme un chaton qui gratte à la porte, comme un sourire que je ne contrôle pas, comme une bouffée d’air qui dissipe la fumée de mes soucis, comme chaque fois depuis que ce n’est plus moi qui vais te chercher. Tu es juste apparue dans ton halo qui emplit mon âme et mon être de cette clairvoyance que perçoivent les illuminés quand des voix leur soufflent des vérités absolues. » Ou encore dans ce magnifique portrait du fou des fleurs, prisdans le récit éponyme : « Par les matinées orangées du soleil avare, de ce pays; par les aubes grisâtres des hivers qui prennent en otage la vie du dehors; par la somme des deux saisons qui font l’année, de son pas aphone, régulier, délicat, mon voisin ira chercher son journal. Il ne part jamais, on ne le voit que revenir. »

Écrits sur une décennie, entre 2005 et 2016, les récits qui composent L’Igloo des errances identitaires relatent une bonne partie de la vie du narrateur : depuis sa prime enfance dans son douar natal, à la jonction des chaînes du Moyen et du Haut-Atlas oriental, jusqu’à l’installation au Québec, en passant par l’école coranique, le collège de Midelt, le lycée Moulay Ismail à Meknès, l’expatriation au Canada, l’université de Sherbrooke, les galères de l’immigré désargenté, sa « plus haute des solitudes »… – un long parcours semé d’embûches et de traquenards. Le narrateur est livré à lui-même depuis son plus jeune âge, affrontant seul l’adversité, composant avec l’ennemi trop puissant, se dressant contre lui dès qu’il montre les premiers signes de faiblesse, prenant ses jambes à son coup quand le risque est réel… Il y avait d’abord la famille, tellement écrasante que, pour survivre, l’enfant doit se dissoudre dans la communauté, faire patte blanche, « enfouir son « je » dans le « on » indéfini »; l’impitoyable instituteur Bourguig et son gourdin; le cruel Bouzemane, le surveillant général du collège El-Ayachi, à Midelt, où « La torture et les sévices corporels étaient le quotidien des élèves. »…

De l’autre côté de l’Atlantique, les maltraitances, physiques du moins, n’existent pas;  la bêtise, elle y sévit autant, ou presque : « Ce dont j’ai voulu me débarrasser en quittant les montagnes de là-bas, je l’ai retrouvé dans les suffisantes hauteurs de certains ici ». C’est par exemple le cas  de cette institutrice, adepte « de la pédagogie du rejet » qui avait ordonné à la petite Samira, la fille du narrateur, élève en troisième année du primaire : «  Tu ne reviendras en classe que quand tu auras effacé totalement ces saletés sur tes mains ! ». Le narrateur, excédé, remettra l’institutrice à sa place et obtiendra même que sa fille fasse, à l’intention de ses camarades de classe, et pas seulement, un exposé sur le henné ! Morale de l’histoire : l’Occident, bien que très développé, est loin d’être l’Eldorado que l’on croit de ce côté-ci de l’Atlantique; et le combat contre la bêtise, tare universelle s’il en est, se poursuit ici comme ailleurs, indéfiniment. 

L’igloo des errances identitaires est l’une des œuvres majeures de la littérature marocaine d’expression française, où se manifeste, des les premières lignes, le talent indéniable de l’auteur ainsi que sa radieuse indépendance d’esprit. Mon souhait est que cette œuvre, une fois publiée, parvienne au lecteur marocain et que la presse nationale lui accorde l’intérêt qu’elle mérite. 

                                                                              Mohamed Nedali   

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