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Que se passe-t-il avec les demandes de visa pour le Canada

En contradiction avec l’information affichée sur son site Web, le gouvernement fédéral demande à certains visiteurs de déposer une seconde demande de visa pour le Canada si leur première a eu le malheur de se retrouver dans la pile des dossiers non traités lors de la pandémie. Une « file d’attente » au sort incertain qui cause bien des maux de tête.

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« Si vous devez voyager au Canada en ce moment, veuillez noter qu’une nouvelle demande devrait être soumise. »

L’avocat spécialisé en immigration Denis Girard a été surpris de la réponse que lui a envoyée le bureau des visas de Dakar le 13 décembre 2021, alors qu’il se questionnait sur l’important retard dans la délivrance du visa de visiteur d’une de ses clientes originaires du Mali.

Celle-ci voulait venir visiter sa fille et ses petits-enfants au Canada, un voyage pour lequel elle fait une demande le 25 juillet précédent. Mais voilà que dans ce courriel, que Le Devoir a consulté, on demandait sans explication à la dame de refaire le processus. C’est qu’un événement important est survenu entre-temps : le Canada a rouvert ses frontières aux voyageurs vaccinés venant au pays pour des raisons non essentielles.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) en a profité pour balancer toutes les demandes de visa effectuées avant cette date dans un étrange purgatoire bureaucratique où sont coincés des milliers de dossiers sans que leurs auteurs en soient informés. Cela a eu pour effet de faire gonfler les statistiques d’attente pour l’obtention d’un visa dans certains pays.

Sur son site Web, IRCC recommande aux personnes qui ont soumis une demande de visa de visiteur avant le 7 septembre 2021 d’en soumettre une nouvelle si leur situation a changé. Une consigne qui a rendu perplexe Me Girard. « Une nouvelle demande de visa ne semble pas requise [pour ma cliente], si on se fie aux représentations d’IRCC, représentations qui se révéleront être fausses », souligne l’avocat, qui note une contradiction entre la directive envoyée par courriel et ce qui se retrouve sur le Web.

Sa cliente a finalement déposé une nouvelle demande, sans remboursement, pour un visa qui a été produit 16 jours plus tard.

Le Devoir a tenté d’obtenir des explications d’IRCC concernant l’exigence de dépôt d’une nouvelle demande. À cinq reprises, IRCC a refusé de dire quelle était sa recommandation pour les personnes sans nouvelles de leur dossier et dont la situation n’a pas changé, hormis l’impatience de l’attente. Le ministère recopiait chaque fois la procédure pour les personnes dont la situation a changé.

Manque d’informations

Ce manque de clarté cause beaucoup d’incertitude. Originaire d’Haïti, Michelet Joseph a déposé une demande de visa de visiteur en août 2021. Il fit face à un dilemme : la refaire, ou pas ? « Je n’ai pas envie de retirer ma demande sans être remboursé. Je la maintiens, mais cette dernière n’est pas traitée », laisse-t-il tomber.

IRCC souligne qu’« il n’y a pas de garantie de remboursement » si une nouvelle demande est déposée.

Celui qui travaille comme journaliste à Port-au-Prince, où « il gagne très bien sa vie », souhaite venir au Canada pour rencontrer des artistes de son pays qui se produisent en terre canadienne. « J’ai besoin de les connaître pour pouvoir parler d’eux, dit-il. J’hésite à renvoyer une demande parce que j’ai déjà soumis plein de documents et je ne sais pas s’ils les reçoivent ou s’ils les mettent de côté. C’est frustrant. »

« Je ne sais pas quoi faire », indique également Natasha, qui préfère témoigner sous un nom d’emprunt par crainte de répercussions sur son propre dossier d’immigration. « Si je dépose une nouvelle demande, est-ce qu’on va l’abandonner de nouveau et encore nous dire les mêmes choses ? »

L’étudiante haïtienne à Montréal tente de faire venir sa mère (qui vit toujours en Haïti, mais qui est une habituée des voyages au Canada) pour sa cérémonie de collation des grades au mois d’août. Le Devoir a confirmé que la demande de visa a été enregistrée avec un an d’avance, le 27 août 2021, mais Natasha n’a eu aucune nouvelle du dossier depuis 11 mois. Les délais de traitement pour un visa demandé depuis Haïti sont pourtant estimés à 91 jours, selon le site Web d’IRCC.

« L’information, honnêtement, n’est pas claire du tout. Personne n’est joignable », témoigne celle qui ignore toujours si elle doit ou non déposer une nouvelle demande pour la visite de sa mère.

Petite histoire d’une file d’attente

Trois sources diplomatiques contactées séparément ont confirmé que l’arriéré des demandes de visa pose un problème aux ambassades canadiennes. Deux d’entre elles affirment que des responsables d’IRCC, le ministère qui gère de manière autonome les dossiers d’immigration, leur ont carrément fait savoir que les demandes déposées avant le 7 septembre 2021 ne seraient jamais traitées.

Officiellement, le ministère dit continuer à examiner ces vieilles demandes. Mais par la même occasion, il présente un portrait peu rassurant pour ceux qui attendent leur visa depuis près d’un an.

D’abord, le ministère a suspendu le traitement des demandes non urgentes entre avril et juillet 2020, tout en permettant le dépôt de dossiers. « Ceux qui ont demandé à voyager au Canada pour des raisons non essentielles pendant cette période ont vu leur demande placée dans la file d’attente », explique la porte-parole d’IRCC, Julie Lafortune.

Ensuite, et durant les 14 mois qui ont suivi, les fonctionnaires ont traité principalement les demandes de visiteurs exemptés des restrictions de voyage. « Un arriéré de demandes de visa de visiteur s’est accumulé », admet sans détour un document du ministère.

Finalement, lorsque les restrictions de voyage ont été assouplies, le 7 septembre 2021, IRCC a décidé que les demandes déposées avant cette date tomberaient dans cette malheureuse « file d’attente », qui a pour caractéristique d’imposer un traitement beaucoup plus lent. Le ministère invoque la « complexité » des dossiers, comme des documents périmés ou l’évolution des circonstances.

IRCC soutient par ailleurs toujours suivre un modèle du « premier entré, premier sorti », soit le traitement des plus vieilles demandes de la file d’attente avant les plus récentes ; le ministère se permet toutefois de traiter d’abord des dossiers moins complexes.

Seulement en 2021, près de 250 000 demandes qu’IRCC n’est pas arrivé à traiter se sont ajoutées à la file. La majorité des demandes déposées en 2022 ont, elles, été traitées.

Source : Le Devoir

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