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Jusqu’à cinq mois d’attente pour pouvoir visiter le Canada

Immigrer au Canada
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Le Canada accuse des retards sans précédent pour autoriser la venue de visiteurs ayant besoin d’un visa, mettant jusqu’à cinq mois pour traiter une demande dans certains pays, démontre une compilation du Devoir. Ottawa aurait en plus discrètement abandonné, sans remboursement, des demandes de visa de visiteurs présentées pendant la pandémie.

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« C’est vraiment frustrant. Je ne m’explique pas pourquoi c’est si long », laisse tomber Patricia Nwobodo, jointe au Nigeria.

L’entrepreneuse dans le domaine de l’immobilier et de la technologie a une relation faite de délais et de déceptions avec le Canada. Elle attend depuis près de sept ans l’approbation finale de son dossier de résidence permanente dans le cadre du programme des investisseurs du Québec.

Entre-temps, elle est venue découvrir Montréal et rencontrer de potentiels partenaires d’affaires à l’aide d’un premier visa de visiteur obtenu en moins d’un mois en 2015. Puis, en novembre 2020, elle a voulu faire de même en déposant une autre demande de visa de visiteur. Elle est toujours sans nouvelles après presque deux ans d’attente.

Selon les données compilées par Le Devoir, le Nigeria figure parmi les pays au bilan les plus désastreux en matière de délais, l’attente y étant de 156 jours pour un visa de visiteur.

De nombreux demandeurs de titres de séjour temporaire doivent s’armer de patience, car en plus d’avoir du mal à délivrer en temps requis les passeports de ses propres citoyens, le gouvernement fédéral peine à délivrer les documents d’immigration aux ressortissants étrangers.

Le Canada demande un visa de visiteur pour 147 pays. Sont exclus de la liste les pays européens, les États-Unis, certains pays riches comme l’Australie ou le Japon ainsi que des pays de l’Amérique latine. Toutefois, le ressortissant d’un pays pour lequel le Canada exige un visa peut faire sa demande dans le pays où il se trouve, comme un Africain résidant en Europe. Dans certaines régions du monde, le délai administratif moyen de traitement atteint des sommets vertigineux. L’Arabie saoudite remporte la palme des pires délais avec 219 jours d’attente. Le Bénin (177 jours), le Pakistan et l’Inde (152 jours) suivent non loin derrière.

« Plus de trois ou quatre mois d’attente pour un visa de visiteur, c’est inacceptable », dénonce Stéphanie Valois, présidente de l’Association des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI).https://datawrapper.dwcdn.net/dm6i1/2/

Délais inacceptables

Pour 105 pays, soit la majorité des États du monde, les délais administratifs de traitement sont de plus de deux mois, selon la compilation effectuée par Le Devoir en juillet basée sur l’estimation publiée sur le site Web d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Par contraste, les demandes déposées au Royaume-Uni, en Norvège, au Suriname ou en Finlande ont été traitées en un temps record de 10 à 20 jours.

Cette donnée par pays est mesurée sur la base du temps qu’il a fallu pour traiter 80 % des demandes déposées au cours des deux à quatre derniers mois. Le délai affiché ne tient pas compte du temps qu’il faut à un candidat pour assembler son dossier ou fournir d’autres documents, comme ses données biométriques.

« D’autres pays arrivent à délivrer [leurs visas] en une semaine. C’est de cet ordre de grandeur qu’on parle », s’indigne l’avocat spécialisé en immigration Benjamin Brunot, qui prévient toutefois que les délais affichés ne concordent pas toujours avec ce qu’il observe dans la réalité. De manière générale, le problème des longs délais en immigration ne date pas de la pandémie, dit-il. « Mais la COVID-19 a amplifié un chaos, une non-efficacité qui existe depuis des années. »

Vishal Basra, qui a sa résidence permanente au Canada, a été abasourdi par le délai subi par ses parents pour obtenir leurs visas de visiteurs après qu’ils eurent déposé leur demande le 16 janvier à partir de New Delhi, en Inde. « Au début, l’estimation de temps sur le site Web [d’IRCC] disait 100 jours. Mais ensuite, ça a monté, et monté », raconte l’ingénieur logiciel de 28 ans, qui les a aidés.

Il aura finalement fallu quatre mois à ses parents pour obtenir leurs visas, début juillet, après la prise de leurs données biométriques fin février.

« Ce délai m’a surpris, ça a été un choc, dit-il. Mes parents ont un long historique de voyages, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Moyen-Orient ou à Singapour. Et ça n’a jamais été aussi long. On ne se serait pas attendus à un tel délai. »

Dossiers dans les limbes

Les délais affichés seraient en partie gonflés par l’abandon informel d’une grande quantité de demandes de visa de visiteur déposées avant le 7 septembre 2021, affirment au Devoir deux sources travaillant dans le réseau diplomatique canadien. L’arriéré, causé par le chaos administratif de la pandémie, serait impossible à rattraper.

Alors qu’elle attendait son visa de visiteur demandé l’année dernière, Patricia Nwobodo a été surprise d’apprendre que l’ambassade invitait toutes les personnes ayant déposé un dossier pendant la pandémie à refaire une demande. « J’ai dû tout recommencer à zéro », déplore la Nigériane.

Officiellement, le gouvernement canadien invite plutôt ces demandeurs à postuler de nouveau, sans remboursement, si « [leur] situation a changé » pour toute une liste de raisons, énumérées sur son site Internet.

« Ça n’a aucun bon sens », laisse tomber un diplomate canadien en poste à l’étranger, qui a requis l’anonymat puisqu’il n’est pas autorisé à parler publiquement de la question. « Quand on regarde le site Web, ce n’est pas clair. Ils ne les traitent pas, les [vieilles] demandes. Qu’ils le disent ! »

Bien qu’IRCC gère de manière autonome les dossiers d’immigration, les ambassades reçoivent « un grand nombre de plaintes » de ressortissants étrangers qui n’ont reçu aucune nouvelle de leur demande après des mois d’attente.

Le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, nie la pratique de l’abandon du traitement des plus vieilles demandes.

« Nous continuons de traiter les demandes dans l’inventaire. Les demandes plus anciennes peuvent prendre plus de temps à traiter en raison de leur complexité, en raison de documents et d’informations potentiellement obsolètes et des changements dans la situation personnelle des demandeurs », assure son attaché de presse, Aidan Strickland, dans un courriel.

Des impacts pour une conférence

Cette situation compromet la venue de 600 spécialistes africains à une importante conférence internationale sur le sida organisée à Montréal, débutant le 29 juillet, qui n’avaient toujours pas obtenu leur visa cette semaine.

« Pour le sida, beaucoup de participants viennent de l’Afrique, qui est le centre de l’épidémie », explique le Dr Jean-Pierre Routy, professeur de médecine à l’Université McGill et coprésident de la conférence.

« Si les gens ne se réunissent pas en personne, si on en parle moins, si on n’a pas de pression politique, les fonds donnés pour le sida par les grands organismes internationaux peuvent aller ailleurs », craint-il.

Le gouvernement fédéral dit désormais accorder la priorité aux visas de visiteur pour les participants à la conférence.

Durant les quatre premiers mois de 2022, IRCC a approuvé plus d’un million de demandes de résidence temporaire sur le 1,4 million de demandes reçues. Dans le cas des visas de visiteur, le ministère promet de prendre des mesures pour réduire les délais de traitement, comme l’embauche d’environ 500 fonctionnaires pour le traitement, la numérisation des demandes et la réaffectation du travail entre ses bureaux dans le monde entier.

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