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UNE PRESSE EN CONSTANTE MUTATION

A l’aube du XXIème siècle, le journalisme se distingue par une lutte plus tenace pour assurer la liberté de la presse. On assistera dans les années à venir à une mutation radicale, en particulier dans les pays en émergence.

Vues d'Afrique

Un grand nombre de journaux et magazines apparaissent chaque jour. Ils sont la plupart du temps le fait d’un entrepreneur qui voit dans le domaine de la communication, un moyen de réaliser un rêve ou de groupes financiers d’investir, de faire de l’argent (qui malheureusement reste rare pour le moment). Mais il y a aussi des journaux qui apparaissent pour des motifs politiques, idéologiques ou encore religieux et dans ce cas, sont soutenus soit par des partis politiques ou idéologiques. D’autres enfin, sont le fait de jeunes journalistes ayant fait leurs preuves dans des grandes entreprises de média et qui se lancent avec des moyens très limités. Ils luttent pour se faire une place en comptant surtout sur l’intérêt que va leur porter le lecteur grâce à leur professionnalisme qui leur permet de se soustraire à toute subjectivité et surtout à toute manipulation.

La presse dans les pays en émergence longtemps étouffée, et malgré toutes les atteintes à la liberté d’expression, est parvenue, grâce surtout à cette génération de journalistes, à faire assouplir les contraintes et les intimidations, souvent utilisées par les gouvernements de leur pays.

Certes, ils n’ont pas encore atteint leur objectif : la liberté d’expression, avec une presse libre de toute contrainte, mais le défi est là et les résultats concrets commencent à voir le jour. Le rapport annuel de FREEDOM HOUSE pour l’année 1999 est plein d’enseignements. Une brève analyse de la situation de la presse au cours du siècle dernier fait ressortir qu’une amélioration certaine mais encore timide dans la liberté de presse, est ressentie dans un grand nombre de pays.

Au début du siècle dernier on ne parlait de la liberté de presse qu’aux États Unis et dans quelques pays européens, laissant plus de 95% de la population mondiale dans un environnement d’informations soit sous contrôle étatique, soit avec une presse sous censure.

En 1998 le rapport de FREEDOM HOUSE analysant la situation de la liberté de la presse dans 186 pays faisait ressortir, après un siècle, même s’il y a amélioration que seulement 1,2 milliards de gens bénéficient d’une presse libre, soit seulement 20% de la population mondiale, 2,4 milliards soit 40% ont une presse partiellement libre et 2,6 milliards soit 20% ont une presse sous contrôle ou sous censure totale.

Bien entendu, en parcourant les Constitutions de la quasi-totalité des pays à travers le monde, la liberté de la presse est garantie mais dans la pratique, rares sont les pays qui assurent une liberté totale et sans contrainte aucune à leur presse.

En 1937, il existait 39 agences de presse dans 28 pays. En 1979, 68% des gouvernements à travers le monde avaient leur agence de presse dont 81% sous contrôle gouvernemental. En 1989, sur 159 pays ayant fait l’objet d’examens de la part de FREEDOM HOUSE, on trouve 56 (35%) qui rentraient dans la catégorie d’une presse libre, 29 (18%) avec une presse partiellement libre et 74 pays (47%) avec des média sous contrôle et censure.

L’année 1999 a marqué une légère amélioration :
Pays Population en milliards
Presse libre: 68 (36%) 1.234 (20%)
Partiellement libre: 52 (29%) 2.419 (40%)
Sous contrôle : 66 (35%) 2.421 (40%)
_________ _________ _________
186 (100%) 6074 milliards 100 %

Pour les pays où la presse est partiellement libre, on enregistre une légère amélioration depuis 1996.

Situation par continent pour 1999
Libre Libre partielmt Sous contrôle Nbre de pays
Afrique 6 (11% ) 17 (32%) 30 (57%) 53
Asie 6 (16% ) 11 (31%) 19 (53%) 36
Europe 28 (78%) 5 (14%) 3 (8% ) 36
Amérique
Sud/Caraîbes
17(52% ) 14 (17%) 2 (6% ) 33
Moyen-Orient 1(7%) 1 12(86%) 14
Amérique
du Nord
2(100%) 0 0 2
Océanie 8(67% ) 4(33%) 0 12
_________ __________ __________ _______
TOTAL 68 (37%) 52 (28%) 66 (35%) 186

Mais la sécurité des journalistes restait toujours précaire : 63 journalistes tués dans 22 pays en 1989.

En 1998, 2 journalistes tués – 12 ayant reçu des menaces de mort, 10 battus – 5 arrêtés, ceci portait le nombre de journalistes tués depuis 1982 à 844.

En ce qui concerne les pays du Maghreb : le Maroc se place dans la catégorie des pays où la presse est partiellement libre 2ème tranche – l’Algérie et la Libye dans la catégorie de la presse sous censure 2ème tranche et la Tunisie dans la même catégorie 1ère tranche (légère amélioration par rapport à l’Algérie et la Libye).

En ce qui concerne les pays arabes du Golf, seul le Koweït est classé dans la catégorie Presse partiellement libre. Tous les autres pays arabes rentrent malheureusement dans la catégorie où il n’y a aucune liberté de presse.

Bien entendu le rapport du FREEDOM HOUSE est toujours mis en accusation par un grand nombre de gouvernements prétendant que les responsables de FREEDOM HOUSE ne connaissent pas la réalité et se basent uniquement sur quelques cas qu’ils généralisent.

Au Maroc comme dans tous les pays, la Constitution garantit la liberté de la presse. Le journaliste marocain est libre d’écrire et de critiquer, sauf ce qui touche le Sahara marocain, la famille royale et l’Islam. L’article 77 du Code de la presse autorise le Ministère de l’Intérieur de saisir ou fermer une publication. Mais ces mesures sont rarement utilisées, la presse marocaine s’autocensure elle-même.

Dernièrement, les journalistes marocains ont fait une grève d’une heure et ont porté toute la journée des brassards de grève pour protester contre les interdictions et les jugements.

En Algérie, les journalistes ont été dernièrement consultés pour une nouvelle loi. Mais le projet du gouvernement ne donne pas encore satisfaction, du fait qu’il n’assure pas suffisamment de garanties aux journalistes algériens.

Le Ministre algérien de la Communication a annoncé récemment, lors des journées de la Presse arabe francophone que “la consolidation de la liberté de la presse en Algérie est irréversible”.

Quant à la Tunisie, le
Président Zine El Abidine Ben Ali a demandé aux journalistes tunisiens lors d’une dernière rencontre avec les gens de la presse tunisienne, à l’occasion de la Journée mondiale de la presse “d’écrire librement, sans tabou ni quelconques restrictions, mais dans le respect de la déontologie de la profession”. Mais le cas du journaliste tunisien M. Taoufik Ben Brik vient contredire ces dires.

La presse en général, même celle des pays où l’on considère qu’elle est effectivement libre et où les journalistes exercent leur métier sans contrainte joue-t-elle effectivement son rôle? Le côté économique ne pousse-t-il pas les journalistes à franchir quelques fois le “no man’s land/, tout en faisant cependant attention à ne pas dépasser la ligne rouge ?

Certes, il y a des journaux qui arrivent à équilibrer leurs comptes et même faire des bénéfices tout en payant de très bons salaires à leurs journalistes et ce, sans publicité aucune, tel le Canard Enchaîné. Mais ce sont des exceptions. D’autres vivent toujours avec des déficits chroniques. Certaines publications arrivent à s’en sortir parce qu’elles sont consolidées soit par des groupements financiers ou industriels puissants, ou encore par des partis politiques.

Dans les pays en émergence, malheureusement la plupart des journaux vivotent. Leurs journalistes ont des salaires plus que médiocre, vivant dans une situation précaire, d’où certains dérapages qu’on signale ici et là. En dépit de cette situation, la quasi-totalité des journalistes continuent à mener un combat tenace et ce malgré aussi toutes les restrictions, toutes les intimidations dont ils sont l’objet pour parvenir à acquérir cette liberté dont ils ont besoin pour pouvoir informer en toute liberté leurs lectrices et lecteurs et pousser les gouvernements à aller vers la Démocratie et l’État de Droit, seuls moyens pour permettre à leurs peuples d’évoluer vers une vie décente en diminuant les flagrantes disparités sociales, en éradiquant la pauvreté et diminuant le chômage.

Mais pour consolider la liberté de cette presse et vu l’environnement dans lequel elle se trouve, il est nécessaire que le journaliste s’astreigne à certaines règles classiques (d’éthique professionnelle) qui sont bien résumées par Monsieur Abdellah Southky, journaliste marocain, Président de l’Union internationale des journalistes et de la Presse de langue française, lors des journées de la Presse Arabe Francophone tenues à Alger au mois de mai dernier et dont ci-après quelques extraits “…. La liberté d’expression doit être tempérée par un sens de responsabilité, véritable garde-fou contre les dérives et les dépassements…. Toute vérité n’est pas toujours bonne à dire …. L’intégrité, le scrupule et l’honnêteté sont les vertus cardinales d’une profession toujours exposée, guettée, continuellement par différents types de dangers….”

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