Collège CSM Montréal Collège CSM

L’ordinateur quantique : tout comprendre en 15 minutes

Par : Isabelle Dumé

Vues d'Afrique

Loïc Henriet, CTO de Pasqal et Landry Bretheau, professeur en physique quantique à l’École polytechnique au sein du Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (PMC*)

6 min. de lecture

Loic Henriet

Loïc Henriet

CTO de Pasqal

Landry Bretheau

Landry Bretheau

professeur en physique quantique à l’École polytechnique au sein du Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (PMC*)

En bref

  • Les qubits peuvent représenter à la fois 0 et 1, contrairement aux ordinateurs classiques. Ils effectuent plusieurs calculs en même temps grâce à leur état superposé, accélérant la résolution de problèmes complexes.
  • À l’heure actuelle, un processeur quantique est encore au stade exploratoire : il prend beaucoup de place et l’optique sophistiquée nécessaire pour contrôler les qubits se compose de lasers, de lentilles et de miroirs.
  • Pour qu’un ordinateur quantique fonctionne, il doit être capable de corriger les erreurs dues à la nature imparfaite du matériel actuel et qui empêchent d’arriver au résultat final du calcul.
  • L’ordinateur quantique ne remplacera pas l’ordinateur personnel ou le smartphone, les premiers clients seront certainement les gouvernements et les grandes entreprises plutôt que le grand public.

Les ordinateurs quantiques fonctionnent avec des bits quantiques, ou qubits, qui, contrairement aux bits informatiques standard ayant une valeur de soit 0 soit 1, peuvent être à la fois 0 et 1. Cette caractéristique signifie que les ordinateurs quantiques pourraient être beaucoup plus rapides que les ordinateurs classiques pour de nombreuses tâches. Ils pourraient également être utilisés pour résoudre certains problèmes qu’un ordinateur classique ne peut pas résoudre. 

« Un ordinateur quantique manipulera de nombreux qubits dans un état massivement superposé : 0000 plus 1111, par exemple, explique Landry Bretheau. Dans cet état “intriqué”, plusieurs calculs peuvent être effectués en parallèle. Un exemple concret : imaginez que le calcul, le problème, soit de sortir d’un labyrinthe. Comment s’y prendre ? Un être humain ou un programme informatique va tester différents chemins. À chaque fois, il arrivera à une impasse, puis revendra sur ses pas. Il testera ainsi tous les chemins jusqu’à ce qu’il sorte du labyrinthe. Mais un système quantique peut être dans une superposition d’états, c’est-à-dire qu’il peut se trouver à plusieurs endroits en même temps. Il peut donc essayer d’explorer les différents chemins en parallèle et sortir du labyrinthe plus rapidement. »

Les qubits peuvent être fabriqués à partir de différentes plateformes ou briques de base matérielles, telles que les qubits supraconducteurs, les particules élémentaires ou les ions piégés. D’autres méthodes en devenir sont les processeurs quantiques photoniques qui utilisent la lumière. « Nous utilisons le terme d’ordinateur quantique, mais il serait préférable de parler de processeur quantique, car l’intégralité d’un calcul ne peut pas être implémentée sur un ordinateur quantique, seulement une petite partie, explique Loïc Henriet. Nous aurons toujours besoin d’un processeur classique pour orchestrer l’ensemble des taches de calcul. »

À l’heure actuelle, un processeur quantique est encore au stade exploratoire : il prend beaucoup de place — par exemple, celui sur lequel travaille l’équipe de Loïc Henriet occupe une grosse boîte de 3 mètres sur 2 mètres sur 2 mètres. Un vide très poussé, de 10-11 mbar, est également nécessaire pour placer les qubits dans des positions bien définies dans l’espace. Cela correspond à peu près à la pression à la surface de la lune.

L’optique sophistiquée nécessaire pour contrôler les qubits se compose de lasers, de lentilles et de miroirs. Pour coordonner le fonctionnement de chacun de ces différents équipements (qui constituent le matériel ou hardware) et de les synchroniser, un logiciel embarqué est nécessaire. Ce logiciel correspond au système d’exploitation du processeur quantique.

Applications potentielles

Il existe de nombreux domaines dans lesquels un ordinateur quantique pourrait s’avérer plus utile qu’un ordinateur conventionnel, que ce soit en termes de temps de calcul ou de qualité des résultats obtenus. L’exemple le plus connu est l’algorithme de Shor, qui permet de factoriser efficacement un grand nombre en facteurs premiers, pour des applications en cryptographie et en sécurité informatique, par exemple. Les ordinateurs quantiques seront également très performants dans l’utilisation d’algorithmes spéciaux pour résoudre des problèmes d’optimisation complexes, tels que ceux liés à l’ordonnancement, au routage et à la logistique. Ces problèmes consistent à trouver la solution optimale parmi un grand nombre de possibilités — le plus célèbre étant le problème du « voyageur de commerce », qui doit trouver l’itinéraire le plus court possible entre plusieurs villes. Les entreprises de livraison et de logistique voudront certainement de ce fait adopter la technologie quantique.

Les problèmes liés à la réactivité des molécules en bénéficieront également. « Il y a beaucoup de recherches dans ce domaine, explique Loïc Henriet. Avec un processeur quantique, nous pourrons effectuer des calculs beaucoup plus efficaces pour déterminer la réactivité de certaines protéines, par exemple, ce qui aura d’énormes applications pour l’industrie pharmaceutique et la synthèse de nouveaux médicaments. Nous pourrons également calculer les propriétés de nouveaux matériaux qui présentent un intérêt dans de nombreux domaines technologiques. »

L’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle sont également des domaines d’application importants, car les ordinateurs quantiques devraient être en mesure d’améliorer les algorithmes d’apprentissage automatique — potentiellement de manière spectaculaire — en fournissant des routines d’optimisation plus rapides et plus efficaces ou en explorant de nouveaux modèles et de nouvelles architectures. Il pourrait s’agir d’un nouveau marché massif, mais il dépendra de la construction d’ordinateurs quantiques pratiques à grande échelle et du développement d’algorithmes et d’applications capables de tirer parti de leurs capacités uniques.

Vers l’universalité

Pour qu’un ordinateur quantique fonctionne, il doit être « universel », c’est-à-dire qu’il doit être capable de corriger les erreurs dues à la nature imparfaite du matériel actuel et qui empêchent d’arriver au résultat final du calcul. La cause principale de ces erreurs est la décohérence des qubits eux-mêmes, qui détruit le caractère quantique des qubits et les ramène à l’état de bits classiques. La décohérence est provoquée par l’interaction des qubits avec leur environnement. 

La véritable difficulté consiste donc à isoler efficacement le système. Pour ce faire, les qubits doivent généralement fonctionner à une température proche de 0 K, tout en étant protégés les uns des autres et de l’environnement. En plus de cela, des techniques de correction d’erreurs quantiques (QEC) peuvent être utilisées dans le but d’atteindre une « informatique quantique tolérante aux pannes ». Ces techniques consistent à utiliser un grand nombre de qubits pour créer un « qubit logique » beaucoup moins sujet aux erreurs. Selon les experts, un véritable « avantage », ou « suprématie » quantique ne pourra être atteint que lorsque les ordinateurs quantiques fonctionneront avec un million de qubits. Et comme le record actuel est encore inférieur à 100 qubits, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Les défis importants

Si, en théorie, rien n’empêche la création d’ordinateurs quantiques à grande échelle, il faut d’abord résoudre certains problèmes d’ingénierie d’envergure. « Les entreprises considèrent l’informatique quantique comme un investissement stratégique et ne veulent pas rater le virage, explique Loïc Henriet. Ce n’est plus maintenant une question de si, mais plutôt une question de quand le processeur quantique fera partie intégrante des solutions informatiques. »

Nous sommes actuellement à l’aube d’une transformation technologique et, en France, nous avons les moyens d’être au cœur de cette révolution, tant au niveau académique qu’au niveau des entreprises et des start-ups. Bien sûr, les clients en bout de chemin et les entreprises doivent aussi être de la partie.

Depuis environ cinq ans, nous assistons à une véritable montée en puissance 

« Cela dit, un ordinateur quantique, universel ou non, ne remplacera pas votre ordinateur personnel ou votre smartphone de sitôt et les premiers clients seront certainement les gouvernements et les grandes entreprises plutôt que le grand public, ajoute Landry Bretheau. Les scientifiques eux-mêmes seront également les premiers utilisateurs et c’est pourquoi le monde de l’informatique quantique intéresse autant de disciplines : la chimie, la science des matériaux, la biologie et la physique. Chacune de ces disciplines va proposer un algorithme qui permettrait de résoudre une question bien précise. »

« Depuis environ cinq ans, nous assistons à une véritable montée en puissance », explique-t-il. Certains parlent de « boum quantique » avec la création de nombreuses start-ups et des levées de fonds importantes.

PsiQuantum et IonQ, qui ont levé respectivement 600 et 400 millions d’euros, en sont deux exemples marquants. « En France, nous avons le Plan Quantum, annoncé par le président Macron début 2021, et la start-up qui a le plus de vent en poupe d’un point de vue financier en France à l’heure actuelle est Pasqal, qui vient de lever 100 millions d’euros. »

Bien que nous ne parviendrons probablement pas à fabriquer un ordinateur entièrement opérationnel et tolérant aux pannes dans les dix prochaines années, nous pouvons être sûrs que nous ferons en cours de route des découvertes insoupçonnées qui seront potentiellement utiles et changeront peut-être même le visage de la société, tout comme l’informatique classique l’a fait au cours des 50 dernières années et, plus récemment, l’Internet.

« C’est une très belle période pour travailler dans ce domaine, déclare Landry Bretheau. Il y a beaucoup d’excitation et le secteur évolue très vite. »

Vues d'Afrique
Vues d'Afrique