
Par : Majid Blal
Quelques dimensions dans la construction identitaire littéraire de l’écrivain issu de l’immigration.
Dans l’univers des écrivains, on s’entend pour statuer que la singularité des auteurs est conditionnée par leur style, leur genre, leur phrasé, la richesse ou la pauvreté de leur vocabulaire…, toutefois, le facteur le plus déterminant dans l’altérité de chacun est la substance que l’écrit véhicule : Ce n’est pas tout de bien écrire, encore faut-il que sous les mots passe une sensibilité, disait Léautaud
Quand il y a carence de substance, l’écrit devient une coquille vide, une construction où l’auteur est un peintre en bâtiment. Il s’occupe, uniquement, de la façade.
À l’instar de tous les auteurs, l’écrivain migrant de la diaspora, binational ou s’amarrant à la citoyenneté transnationale trouve des difficultés inhérentes dans l’existence d’entraves intrinsèques et spécifiques à son état d’expatrié.
Les écrivains issus de la diversité et résidants au Québec ont en commun la confrontation avec certains obstacles qui déterminent la suite de leur engagement intellectuel.
Dispositions qu’on pourrait résumer dans quatre dimensions : l’espace identitaire, la dimension linguistique, l’épreuve de l’édition, la dimension psychologique et traumas du parcours migratoire.
* La dimension identitaire
Elle est très importante dans la définition et la construction de l’écrit. Comme tous les expatriés, l’écrivain doit se définir pour réaliser sa conscience de l’autre, celle de son milieu de vie et sa place au milieu des autres. Aspire-t-il à accéder au statut responsable de citoyen par la sédentarisation irréversible ou se contente-t-il du statut réducteur d’eternel immigrant. Se confiner dans la posture du passager qui n’est pas chez lui. La dimension d’appartenance est affective et repose sur les choix émotionnels de l’auteur.
L’important dans l’affirmation de soi est de refuser les identifications réductrices pour revendiquer, sans complaisance, les identités postulées. Kim Thúy n’est pas que vietnamienne, elle est également québécoise francophone…Dany Laferrière n’est pas que Haïtien, sinon c’est identification réductrice…
De plus en plus d’écrivains issus des communautés culturelles revendiquent la citoyenneté transnationale. Cette prise de conscience s’accompagne par l’exigence de la reconnaissance du Homeland-politics qui permet une participation active socio-économique et culturelle dans plus d’un pays. Pays d’origine et pays de vie.
Ce positionnement influe sur les sensibilités à développer dans les textes. S’attarder sur les thématiques telles la nostalgie, le mal du pays, le mythe du retour, la sublimation du pays d’origine, le dénigrement de la culture locale…. Ou, au contraire, développer des écrits où les personnages et la vision s’imbriquent dans le devenir commun, dans la réalité du pays d’accueil. On appelle ce processus : L’intégration.
Laferrière dans “J’écris comme je vis” “Plus j’écris proche de mon cœur, plus je risque de toucher à l’universel “
* La dimension linguistique
La langue est l’outil de l’écrivain. Il est une nécessité absolue de manier et de maîtriser un medium pour pouvoir s’en servir. Sans langue l’écrivain n’existe pas.
Au Québec le français est plus qu’une langue, il est plus qu’une façon de vivre, plus qu’une forme d’expression, la langue francophone est le ciment de la cohésion sociale.
Il est primordial d’être francophile ou du moins francophone assidu pour adopter et commettre des écrits dans cette belle langue. Toutefois, ce n’est pas une règle ni une loi.
L’écrivain va user de langue qu’il manie le mieux, la langue qui s’adresse au lectorat qu’il cible et la langue qui lui garantit une large diffusion dans le pays dans lequel il compte être lu. En plus du choix du medium, le niveau de langage détermine les profils du lectorat visé.
- Langue maternelle
Ce ne sont pas tous les écrivains qui optent pour la langue du pays d’accueil. Ceux et celles qui n’ont pas le bilinguisme comme une seconde nature, souffrent de l’insuffisance de la maîtrise d’autres moyens d’expressions, autres que leur langue maternelle, pour se raconter. Écrire est aussi un terrain où on véhicule des émotions et les émotions ne peuvent être transmises fidèlement que dans une langue sentie. Décrire une motion est bien plus compliquée que de transmettre une idée, une formule mathématique, une description… Par exemple, plusieurs écrivains commettent leurs narrations en langue arabe, bien qu’ils vivent ailleurs dans le reste du monde.
- Langue véhiculaire
La langue véhiculaire est un médium qui permet de rejoindre, systématiquement, plus de lecteurs pratiquant des dialectes différents, des niveaux de langage variés, des québécismes, de la darija au Maroc et des parlers imprégnés de l’environnement local. La parlure dirait-on au Québec. La langue francophone standard ou « internationale » permet cet exercice au Québec.
Les écrivains de la diversité choisissent leur langue de travail en fonction de la population segmentée qu’ils ciblent. Bien que Lusophone, Kokis avait choisi d’écrire en français depuis son installation au Québec.
- Langue vernaculaire, langue locale
L’écrivain qui s’intègre à son milieu de vie peut intégrer son écriture au niveau de langage de son milieu, s’il a l’intention de proposer ses publications aux citoyens de la société d’accueil. L’utilisation de québécisme, d’expressions locales, de formulations adaptées au mode de vie de son pays de vie. Cette pratique facilite la communication et l’interaction avec le lecteur local.
Les dialogues rapportés dans la langue véhiculaire sonnent faux et paraissent surjoués. Un dialogue en arabe classique dans un roman marocain ou en français parisien dans un roman québécois incite à décrocher de la trame narrative.
- Langue du cœur et francophonie
Le plus souvent, un écrivain qui ne fait pas dans le calcul de vente écrit dans le médium qui lui convient. La langue qu’il sent et qu’il maîtrise. La question qui dérange les auteurs est celle qui se rapporte au médium choisi au détriment de la langue maternelle. Peut-on être authentique en commettant des écrits dans une autre langue que celle du biberon ?
Il est toujours plus pédagogique d’expliquer qu’un sculpteur ne s’exprime pas dans sa langue maternelle, également, et le pinceau des artistes peintres n’est pas le langage commun de l’enfance.
La langue francophone n’est pas nécessairement la langue du colonisateur, mais la langue que se sont appropriés des peuples et des nations qui forment la francophonie. La langue francophone est un butin de guerre disait Kateb Yacine. La langue francophone appartient d’abord aux francophiles, aux francophones et à toutes les personnes que la nuance et la subtilité d’une langue fascine.
- Cibler un lectorat en particulier
En fonction des lecteurs visés, de la langue choisie et du genre de l’écrit proposé, l’écrivain détermine son lectorat et l’espace physique qui s’y rapporte.
– Lecteurs du pays hôte, en langue vernaculaire ou véhiculaire.
– Lecteurs du pays source, en langues locales ou dans la langue officielle
– Lecteursque proposent les maisons d’édition dans les pays où se passent la publication et parfois la distribution.
* L’épreuve de l’édition
– Publication
L’une des plus grandes difficultés que rencontre l’écrivain expatrié se rapporte à l’édition. Où et comment publier ses ouvrages ?
Les maisons d’édition agréée sont un casse-tête car elles exigent de la qualité, de l’originalité, des écrits structurés, un produit qui pourrait séduire le public, un genre conforme à leur ligne éditoriale. Un manuscrit qui ne véhicule ni jugements de valeurs, ni appel à la discrimination… Ceci est un mise en garde, un préalable que doivent savoir les écrivains candidats à l’édition.
Pour les auteurs issus de la diversité et depuis le 11 septembre 2001, des difficultés supplémentaires se sont ajoutées. Réelles ou fictives, elles compliquent le processus de sélection et génèrent des amalgames, des perceptions et des ressentiments. Les citoyens issus de la diversité ont l’impression qu’ils sont les boucs émissaires que produisent la polarisation des idéologies et les identités sectaires.
À l’instar des curriculum Vitae rejetés à cause de la consonance des noms et des prénoms, les écrivains craignent que les marqueurs identitaires dont les noms, les origines ethniques ou géographiques, les croyances, la couleur de la peau ne puissent jouer des rôles déterminant dans le processus de sélection des manuscrits par les éditeurs et ultimement dans la vente de leurs livres.
Pour de plus amples informations sur le monde de l’édition, voir le texte, ci-joint, en annexe.
– Distribution
L’une des problématiques des écrivains migrants et surtout pour ceux qui font dans l’autoédition, c’est la distribution de leurs livres. Ils n’ont ni réseaux de distribution ni la capacité d’écouler dans le pays d’accueil comme dans le pays d’origine. Pire encore sont les pratiques dans le pays source, car beaucoup de gens et en premier lieu les proches abusent et ambitionnent. Ils considèrent que la marque d’amour, d’appréciation ou d’amitié passe par le don par l’écrivain de ses livres.
– Le soutien aux auteurs francophones de la diaspora
La culture est la vitrine qui donne un visage des états à l’étranger et c’est elle qui module les identités des nations. Bien que le livre soit le parent pauvre de la culture, il n’en demeure pas un support import du Label de chaque pays. La visibilité est culturelle en premier lieu.
La majorité des écrivains ne vivent pas de leur art et c’est pour cette raison que les pays sources devraient avoir des politiques généreuses soutenant les écrivains et encourageant l’écriture. Il arrive que les subventions allouées à la culture n’arrivent pas aux créateurs car beaucoup d’intermédiaires et d’affairistes en la culture sont aux aguets, à l’affût en amont.
Il serait judicieux d’allouer des primes à l’édition par exemple. Une prime pour encourager les auteurs qui réussissent le passage dans les dédales de l’édition agréée et qui publient leurs progénitures.
Les états de la francophonie devraient se procurer des quantités significatives de livres de leurs ressortissants à l’étranger pour les distribuer aux bibliothèques universitaires, municipales et autres.
Il serait, également, très adéquat d’aider les écrivains de la diaspora à distribuer leurs livres dans les réseaux nationaux.
*Dimension psychosociologique
+L’injonction paradoxale
La double contrainte pousse les groupes essentialisés à se refuser un pan ou l’autre de leur identité devenue polarisée. Ils sont poussés, sournoisement à choisir le camp des sectaires ou à se renier. On les intime d’être le bon néo-québécois qui s’acharne sur ses appartenances ou à revenir dans le ghetto intellectuel agrandir les rangs des jérémiades et des pleurnichards.
L’écrivain, s’il n’a pas une identité claire qui le rehausse dans l’universalité se trouve piégé par les luttes intestines et les discussions byzantines.
Comme on ne peut toujours être neutre, on peut grâce à la distanciation se mettre au dessus de la mêlée. Accepter de faire partie de la diversité et combattre pour un espace et sa liberté d’expression. Utiliser ses particularismes pour aboutir l’universalisme. Accrocher ses histoires spécifiques au chariot de la culture pour les amener à l’humain qui représente la culture universelle. Et ainsi aboutir à sa propre Altérité.
Se définir, se reconstruire, déconstruction pour refuser les identifications réductrices et revendiquer son identité postulée. On sait bien que « construire l’adversaire, le transformer en ennemi. Ce sont des mécanismes de différenciation, d’infériorisation, de généralisation, de victimisation de soi… »
+ La Critique
On craint la critique parce qu’elle confronte l’ego, la sensibilité, la fierté, les attentes, la vulnérabilité, le talent, l’image qu’on se fait de soi, la mémoire, l’identité postulée… En résumé la critique confronte les émotions. Elle réfléchit l’image que les autres se font de notre communication écrite, verbale, non verbale et parfois inconsciente.
Finalement, la chute sera simple. Les écrivains francophones migrants ont des besoins spécifiques et par conséquent leurs besoins sont distinctifs, typiques. Y apporter un soutien, c’est d’abord comprendre la dynamique et le caractère distinctif de leurs problématiques.
Majid Blal
J’adore, beaucoup de profondeur. Justesse et précision font de cet article une vraie merveille. Rien n’a été négligé. Bravo. Vous êtes une fierté pour toute notre communauté. Votre talent a été amplement reconnue dans notre pays d’accueil le Canada, et presque pas dans notre pays d’origine. Pourtant vous avez à votre palmarès bien des ouvrages. Nul n’est prophète dans son propre pays !