J’écris en français et je rêve dans plusieurs langues.
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.Par : Majid Bilal
J’aime la langue francophone parce que je n’ai connu qu’elle pour me permettre de disséquer mes émotions et de décortiquer les idées.
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Ce n’est pas que les autres langues sont impuissantes à souscrire à l’expression, mais la lecture en langue francophone m’a ouvert les grilles de la liberté et de l’évasion.
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J’écris en langue francophone et cela me convient tant que je pourrais être lu par les miens dans cette langue. Je suis conscient que je fais partie de ces dinosaures qui n’auront plus de lecteurs en français dans leur pays d’origine, car les changements s’opèrent vite et les générations en devenir sont arabophones ou analphabètes fonctionnels.
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Le bassin de lecteurs en langue francophone se réduit comme une peau de chagrin et condamne les auteurs de ma trempe à se faire traduire ou à ratisser loin du Maroc pour se dégoter quelques lecteurs et lectrices disponibles à partager les hurlements, les imprécations et les divagations d’une époque en train de changer de médiums et d’interlocuteurs. D’ici peu, les écrivains marocains de langue francophone seront peu et moins nombreux.
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J’écris en langue francophone, parce que je suis un apatride de la langue. Je suis né avec la langue Amazigh comme langue maternelle et je n’ai pratiqué qu’elle avant de rejoindre l’école primaire où j’ai commencé l’apprentissage de la Darija, des langues arabe et française. De ma langue maternelle, je suis analphabète et illettré. Puis la langue française m’a mis sous sa coupe, allant jusqu’à phagocyter mon imaginaire et mon référentiel cérébral.
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J’écris en langue francophone et je ne me plains pas car elle me permet de rejoindre les Cheikhs Hamidou kane, Kateb Yacine, Mouloud Feraoune, Albert Memmi, Mohamed Khairedine et tous ceux qui se débattaient avec le portrait du colonisé. Je suis un relent, une relique du colonialisme en Afrique. Un dinosaure qui se réjouit de communiquer avec ses concitoyens francophones du Québec dans la langue de Gaston Miron.
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J’écris en français sans autre accent que le mien. J’écris avec les mots du cœur, les phrases de mes tripes, les terreaux de mes terroirs et de mes cultures rencontrés pendant mes pérégrinations.
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Le français n’appartient pas qu’aux français comme l’arabe n’appartient ni aux arabes originels, ni aux musulmans. Les langues n’appartiennent qu’à ceux qui s’en servent pour se dire.
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J’écris dans la langue francophone et je ne me sens redevable de rien, ni à personne. La langue n’appartient qu’à ceux qui la développent, la respectent et la malmènent par amour.
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L’identité est inclusive, dynamique, dialectique et tend vers l’universalisme. Je n’ai pas de tiraillements entre les cultures puisque je glane et je puise dans chacune une partie de mon identité. Nous sommes des êtres multiples.
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C’est vrai qu’il vaut mieux s’exprimer par le biais d’un médium que ne pas se dire du tout.
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J’écris en français et je n’ai aucun complexe d’infériorité. Je fais l’état des lieux et des constatations empiriques qui racontent que ma génération était l’otage de l’histoire et des paradigmes qui voulaient l’ÉMANCIPATION des peuples, dans un cadre néo-colonialiste, en premier lieu.
J’écris en français et je ne suis traître à personne ni renégat à aucune entité possessive.
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Majid Blal, Sherbrooke, le 5 octobre 2023