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Jean- Claude Poitras : né pour créer une vie qui défile…

Par :  Zahra Mennoune 

Vues d'Afrique

Un artiste, oui, mais il est aussi un homme généreux prêt à partager et à transmettre son savoir-faire et un homme très sensible, un cœur de soie et une âme de velours. Voici une entrevue qu’il a bien voulu accorder en exclusivité à Mahgreb Observateur et qui dévoile beaucoup d’aspects dans sa vie professionnelle et artistique durant 50 ans de carrière.

Quand la vie défile… parlez-nous un peu du défilé de votre vie ?

C’est l’histoire d’un petit garçon timide et hyper sensible qui rêvait de réinventer, de recréer le monde et qui ne faisait rien comme tout le monde. Ma grand-mère m’appelait son oiseau rare. J’ai eu le courage de changer et de trouver en moi un véritable feu sacré qui ne s’éteindra jamais. Le jour où je cesserai, c’est que je serai mort. Je crois qu’aujourd’hui la griffe Poitras, c’est plus qu’une mode, c’est un art de vivre.

Jean-Claude Poitras : communicateur, artiste visuel, créateur de mode, designer, artiste, journaliste, chroniqueur, conférencier et consultant…n’est-ce pas beaucoup de chapeaux pour un seul homme?

 Je l’ai déjà écrit dans une assiette « Je suis né pour créer ». Le fil conducteur de ma vie d’artiste est la créativité tous azimuts. Je n’ai jamais pu vivre enfermé dans un carcan. Mon parcours de marginal reste une quête d’homme libre, passionné par le décloisonnement des disciplines culturelles. Je me sens bien sur mes chemins de traverse, comme je les appelle, hors des sentiers battus, à mille lieues de la banalité. Chacun des rôles que je suis amené à jouer, de directeur artistique à auteur, de designer à peintre, sert à nourrir et à inspirer tous les visages que je suis, un être aux multiples facettes qui ne vise qu’à répandre et à célébrer la beauté tout autour de lui.

Comment a été forgée cette grande expérience multidisciplinaire ?

Du plus loin que je me souvienne, j’étais alors un enfant solitaire et rêveur qui adorait s’aventurer dans son imaginaire foisonnant de fantasmes où j’aimais refaire le monde. Mon adolescence fut marquée par des images de cinéma, avec ses divas, qui sont venues confirmer mon goût pour l’ailleurs, l’extraordinaire, l’exceptionnel et le romanesque. Toutes les formes d’art me passionnaient, je m’enflammais pour les romans de Françoise Sagan, me laissais bercer par les chansons de Barbara et dévorais tous les magazines de mode venus des quatre coins de la planète. À l’automne 1966, je suis allé étudier la mode, ce qui allait être déterminant dans mon cheminement personnel, d’autant plus que l’on allait inaugurer en avril 1967, l’Exposition universelle à Montréal. Le monde découvrait alors Montréal sur ces îles qui allaient devenir mon terrain de jeu pendant des mois. L’Expo 67 fut un microcosme international de tout ce dont je raffolais : architecture, mode, tradition, innovation, gastronomie, design, etc. Tout un art de vivre qui se déployait sous mes yeux, une mosaïque qui célébrait avec panache le multiculturalisme, l’identité, le savoir-faire et l’avant-gardisme, un sublime exemple de transversalité qui continue de m’inspirer et de me nourrir.

Quel est le domaine où vous vous sentez le mieux ?

J’aime tous les aspects de ma vie de créateur, dans la mesure où l’on me laisse la liberté d’aller au bout de mes rêves. Avec le temps, je ne supporte pas très bien les compromis que certains collaborateurs tentent de m’imposer. Qui m’aime me suive pour le temps qu’il me reste.

D’où est venu l’intérêt pour le design ?

J’ai la chance d’avoir une curiosité insatiable envers les œuvres d’art, le mobilier, les arts de la table, les vêtements, les créations conçues par les artisanes et artisans en métiers d’art et j’ai l’obsession de la beauté. Le design, avec son supplément d’âme, nous permet d’apporter de la lumière, du bien-être et de la poésie à notre quotidien. J’ai d’abord été séduit par les bijoux que portaient ma mère et ma grand-mère. Celles-ci me racontaient les histoires de leurs colliers, broches, bracelets ou boucles d’oreilles qui me faisaient rêver et m’amenaient à poser sur ceux-ci un autre regard rempli d’admiration. Cette démarche s’est poursuivie envers les objets décoratifs, les accessoires de mode et tant d’autres choses.

Comment vous avez pu réussir votre carrière dartiste ?

Je ne sais pas si j’ai réussi ma carrière d’artiste, mais je suis fier d’avoir été fidèle et loyal à la personne que je suis, un esprit libre qui aura tenté d’aller au bout de ses rêves, à coups d’audace et de passion.

Vous avez influencé le monde de la mode durant ces dernières décennies. Daprès vous, cest quoi l’élégance ?

L’élégance, c’est avoir suffisamment de style pour savoir résister aux tendances passagères. C’est également savoir porter un vêtement, non pas comme un masque, mais plutôt comme un reflet de l’âme.

C’est faire le choix de l’intemporalité plutôt que celui de l’éphémère. L’élégance fait défiler son âme et son corps avec style, grâce et raffinement. Quand l’élégance défile, un ange passe. L’élégance, c’est le style et la beauté à l’état pur. L’élégance ne s’exhibe pas, elle envoûte.

La griffe Poitras, plus qu’une mode un art de vivre

La création d’une œuvre ? Est-ce un plaisir ou un métier ?

C’est à la fois un plaisir enivrant et un tourment oppressant. C’est toujours un moment de pure émotion et de fébrilité, un trouble étrange et paradoxal, où se mêlent la peur de n’avoir plus rien à dire et le bonheur de s’abandonner à la création. Chaque fois j’appréhende le moment de me mettre à créer, j’angoisse, je doute, j’ai envie de renoncer et puis je me ressaisis. J’ai peur, mais tôt ou tard, j’avance et de toute façon ce que je tente d’accomplir depuis 50 ans, ce n’est pas de faire un métier, c’est plutôt de donner un sens à ma vie.

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Racontez-nous l’histoire de votre livre sur la mode ?

J’ai écrit mon livre sur l’histoire de la mode au Québec pour bâtir la fierté de cette histoire méconnue. Je voulais démontrer par-dessus tout que la mode était un fabuleux miroir de la société à travers toutes les époques. Je voulais comprendre ce qui se passait dans ce pays. J’ai réalisé qu’il fallait parler de chaque décennie. C’est pour ça que j’ai débuté en 1970 car à ce moment-là, au Québec, la mode québécoise a éclaté pour la première fois avec l’arrivée des premières associations et des couturiers québécois. J’ai résumé très brièvement ce qui se passait à l’international et je suis retourné à la réalité québécoise. C’était très important pour moi de raconter ce qui se passait, à chaque début de décennie, au niveau politique, culturel et même économique et de démontrer que la mode était ce miroir fascinant de la société. J’arrive aux acteurs qui ont modelé et marqué chaque décennie et j’inclus les créateurs, les créatrices, les couturiers, les fabricants et les détaillants. Et aussi, tout ce qui tourne autour des créateurs, tels les coiffeurs, les mannequins et les journalistes. Tout un monde pour constituer l’essence d’une époque. Il y a beaucoup de gens qui ont marqué notre temps et qui nous ont quittés.

Je suis encore là, et je veux raconter ces périodes, non pas en tant qu’historien de la mode mais d’abord en tant qu’acteur de la mode. C’est aussi pour la jeune génération, pour leur démontrer que la mode est aussi un Art.  Je voulais amener les gens à comprendre tout ce qui se passe autour des artisans, des gens de l’ombre et ceux de la lumière.

Était-il facile de trouver la documentation pour votre livre ?

Je dois avouer que j’avais, depuis longtemps, l’idée en tête et j’avais accumulé, pendant dix ans et durant la période de mes conférences et de recherches, des archives, des photos et une base très importante.

Dans la majorité des cas il fallait que ça soit libre de droit. C’était un travail titanesque qui m’a pris une année pour l’écriture. Ce livre est maintenant présent à travers le monde et il est devenu une carte de visite pour le Québec et Montréal.

Est-ce que vous avez un projet de deuxième livre ?

Il ne faut jamais dire jamais, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. 

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Les tableaux que vous réalisez sur la mode, vous ont-ils fait changé de style en tant que designer ?

Ces tableaux que j’ai dévoilés en solo dans la galerie à Montréal pour célébrer mes 40 ans de carrière en 2012, s’inscrivaient dans la continuité de ce que j’avais à dire, parce que je créais des œuvres pour moi. Je vous avoue que j’ai arrêté de travailler sur mes dessins car un de mes professeurs à l’école de mode pensait que je débordais toujours du cadre. Il fallait que j’illustre des femmes nues et je ne voulais pas reproduire ces corps de femmes parfois pudiques, parfois sensuelles, je voulais traduire les émotions que je ressentais vis-à-vis de ces femmes fragiles ou rayonnantes. Je voulais traduire l’émotion que je ressentais en regardant ces femmes si inspirantes. Je voulais poser un autre regard, me remettre en question en me défiant. J’ai douté pendant des années et des années. C’est pour cela que j’ai quitté le côté technique de la mode.

Dans la mode il y a 2 techniques, la première est la coupe à plat qu’on appelle le patron et la deuxième est la coupe moulage qui utilise la toile et le tissu, et c’était cette technique qui m’intéressait le plus.

J’ai toujours fait beaucoup de moulages et ça m’a donné, petit à petit, l’envie de le pratiquer comme forme thérapeutique durant l’hiver et l’automne et un jour j’ai pris mes pinceaux et j’ai commencé à peindre.

Ma conjointe de l’époque m’encourageait et elle me disait que c’était unique, stylé et porteur d’une véritable signature. Elle les a montrés à des amis proches qui les ont aimés et achetés. Cela m’a encouragé et en 2010, lorsque mon âme sœur a décidé de me quitter, c’était devenu une thérapie pour moi, je commençais à peindre au milieu de la nuit pour chasser l’angoisse. J’ai alors exposé en galerie pour une première exposition en solo.  Lorsque j’ai vu mes tableaux accrochés, c’était le déroulement d’une vie consacrée à mon amour des femmes. Tous ces corps féminins, ces lignes très pures et aériennes témoignent de ma passion pour la grâce de la calligraphie japonaise.

J’ai appelé cette exposition Roméo et ses Juliette. Je voulais y mettre un peu d’humour parce que mes Juliette ont été des femmes que j’aimais en rêve ou en réalité. Roméo parce qu’un jour mon ex-conjointe a vu que je m’appelais Roméo Jean-Claude Poitras sur mon extrait de baptême, c’était ça mon nom au complet. Cette exposition montrait mon côté romantique.

Je trouve que mes œuvres continuent à exprimer cette passion pour le papier et on dirait que je traite mes papiers comme je traitais mes étoffes à l’époque pour mes collections de prêt à porter !

Je prépare une autre exposition, en 2022, pour fêter mes 50 ans de carrière. Je vais lever le voile sur mes nouvelles œuvres sur toiles de lin et de coton. Ces oeuvres me donnent l’envie de rééditer, durant 2022, quelques créations Poitras en série limitée. Je vais peindre, en série limitée, sur des vêtements comme je fais avec mes œuvres d’art.

Parlez-nous de la nouvelle route du Coton : cette initiative très spéciale !

Oui cette expérience est vraiment une initiative exceptionnelle. C’est une demande qui m’a été faite par l’ambassade du Mali au Canada en novembre 2020. L’ambassadrice souhaitait faire en sorte une première collaboration au niveau international et voulait la revalorisation du coton Malien et la revalorisation du savoir-faire des artisanes de là-bas. Les techniques de tissage, de teintures végétales et d’impression, le tie dye font partie du savoir-faire extraordinaire des artisanes au Mali

L’ambassadrice souhaitait, que je pose, en tant que directeur artistique et créateur artistique de mode, un regard contemporain sur ce projet.

C’était une aventure formidable, on m’avait demandé une dizaine de pièces mais lorsque j’ai commencé à recevoir les premiers tissus qui m’arrivaient du Mali, spécialement des coopératives féminines, ça m’a inspiré une ligne de plus de 36 styles de mode et une collection de linge de maison.

C’était formidable de voir ces tissages qui se sont transformés en chemins de table, en napperons et en housse de coussin. Mon mandat était de poser un regard neuf dans l’esprit de la cocréation si tendance en ce moment.

J’ai amené ce projet visionnaire jusqu’au bout et j’ai même convaincu la directrice générale de la semaine de la mode de Montréal d’aller demander aux gens du Centre Eaton de Montréal de me confier un espace pour montrer cette collection.

On a créé un site qui s’appelle la nouvelle route du coton où on me voit en train de créer dans l’atelier et les séances de photos. On peut donc regarder le making-of de ce projet emballant et porteur de sens.

J’espère qu’un détaillant ou un fabricant va poursuivre cette route.

Je vois venir un livre sur la nouvelle route du coton ?

Ce serait formidable, c’est une expérience qui m’a fait sortir du premier confinement et de réinterpréter la grande tradition. Ça a réveillé plein de gens qui veulent collaborer à cette richesse que j’ai aidé à concrétiser.

Si je peux jouer un rôle d’ambassadeur pour faire rayonner cette créativité exceptionnelle venue de pays africains et créoles, je suis prêt. Je suis toujours passionné par le savoir-faire qu’on a su protéger dans ces grandes traditions du Maghreb et de partout ailleurs. C’est certain que tout ce qui mobilisera les forces pour faire vivre la créativité, je peux jouer un rôle d’ambassadeur pour faire collaborer et établir les passerelles entre les pays africains, le Canada et le Québec. Je suis ravi d’avoir pu faire une différence et d’avoir pu être utile avec énormément de patience et de passion.

Vues d’Afrique m’a permis d’aller d’une découverte à une autre et m’a montré la richesse de la culture !

Que peut-on dire de votre implication dans le festival de Vues dAfriques ?

Le festival est un événement extraordinaire, et c’est à chaque fois une découverte même après plusieurs années d’existence. J’ai, d’ailleurs, créé une affiche qui était dans l’exposition de ce que j’ai appelé la mode, c’est du cinéma. Le cinéma a toujours été pour moi une source d’inspiration. J’ai connu le festival par son volet cinéma d’abord, et le cinéma est celui qui m’a ouvert sur le monde et la mode. Je suis passionné par le cinéma.

Vues d’Afrique m’a permis d’aller d’une découverte à une autre et m’a montré la richesse de la culture de tout un continent avec sa diversité incroyable et éblouissante. C’est ce que j’admire le plus dans le continent africain du nord au sud et d’est en ouest. C’est cette identité éblouissante, cette diversité et cette authenticité. J’étais toujours admiratif, durant mes visites sur ce continent, de toutes les découvertes que j’ai eues à faire dans les pays que j’ai visités, la Tunisie, le Maroc parmi d’autres.

Ce serait pour moi un rêve de collaborer avec des artisanes, des créateurs et des créatrices car je considère que l’Afrique a une richesse dans ses traditions et sa mémoire collective qui m’a toujours inspiré.

C’est quoi la mort pour vous ?

(Après une petite pause) : Je ne sais pas qui a dit (vieillir est un naufrage) ! Je suis tout à fait d’accord avec cela. La mort est la seule justice sur terre parce qu’on est tous condamnés à mourir.

J’aimerais pouvoir croire qu’après la mort il y a peut-être la renaissance, les retrouvailles avec les gens qu’on a toujours aimés et qui nous ont quitté depuis tant d’années.

Je crois que j’accepterais avec sérénité l’idée de la mort en espérant pouvoir retrouver tous ces gens qui m’ont aimé, supporté et admiré et que j’ai perdus, mais, l’heure n’a pas encore sonné !

Et l’espoir ?

L’espoir c’est absolument essentiel. Il faut vivre ses drames, son mal être, il ne faut pas cacher ses moments de faiblesse, tout en se remettant en question. En faisant face à ses démons et à ses crises on renaît alors de ses cendres comme un phénix.

Durant le premier confinement, j’étais paralysé et incapable de créer. J’étais dans une grande dépression et un soir au milieu de la nuit j’ai créé une œuvre que j’ai intitulée : La promenade vers l’Éden.  C’est la seule chose qui a été créée au bout de trois mois et c’était l’opposé de ce que je vivais à l’époque.  Cette œuvre est remplie de lumière, pour la première fois de ma vie j’ai dessiné des fleurs et c’est peut-être ça la force d’un artiste qui a pu renaître de ses cendres. Je suis un être d’émotion et je crois qu’il faut toujours être à l’écoute de ses émotions même lorsqu’elles sont dépressives et tourmentées.

La promenade vers l’Éden est en vente sur le site de ma boutique en Ligne : https://monpoitras.ca/

Une carrière bien remplie et une reconnaissance internationale, est-ce quil y a quelque chose que vous navez pas encore accomplie et qui vous tient toujours à cœur ?

Le jour où je cesserai de rêver, c’est que je serais mort. Je veux mobiliser, transmettre et partager les savoirs à une équipe de jeunes créatifs qui pourront poursuivre l’école de pensée Poitras afin de permettre aux gens de célébrer la beauté au quotidien.

J’ai toujours voulu laisser une trace et former des jeunes dans le domaine de la mode, du design et de la créativité tous azimuts, car je crois profondément à ma mission de décloisonner les disciplines artistiques et créatives.

Racontez – nous quelque chose de votre vie que navez jamais dit à dautres

Je dois avouer que j’ai quelque chose que je n’ai jamais abordé avec quelqu’un d’autre. Mon grand regret est de ne pas avoir eu d’enfants. J’aurais été un très bon papa et un grand-papa formidable. C’est quelque chose qui me revient de temps à autres et je pense que c’est de là que vient cette envie de partager mon savoir avec tout le monde, spécialement les jeunes. Je pense que je suis quelqu’un de très aimant capable de donner beaucoup de tendresse et d’amour. J’ai un cœur de soie et une âme de velours.

Entrevue de : Zahra Mennoune

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