La Saint-Valentin s’est imposée, année après année, comme une célébration majeure dans le calendrier arabe, et ce malgré la crise et la pandémie.

Soldes de la Saint-Valentin à l’aéroport de Beyrouth, le 5 février (photo Jean-Pierre Filiu)
Magasins, hôtels, restaurants et galeries commerciales se préparent depuis plusieurs jours à la célébration, demain, de la Saint-Valentin dans le monde arabe. La popularité d’une telle fête est relativement récente et n’avait rien d’évident dans une région très majoritairement musulmane. Des trois saints célébrés le 14 février, Valentin, décapité vers 270, serait devenu patron des amoureux pour avoir correspondu avec sa bien-aimée jusqu’au jour de son martyre. La réalité historique est bien éloignée d’un telle légende et il faut attendre le XIXème siècle pour que la mode des « Valentins », les billets doux adressés entre amoureux à cette occasion, ne se répande en Europe, avant que la fête n’atteigne la popularité planétaire que l’on sait. Le succès de la Saint-Valentin dans le monde arabe n’en est que plus intéressant à étudier.

La Saint-Valentin à Bagdad, le 14 février 2018 (AFP)
UN RECENT MESSAGE DE TOLERANCE
La célébration d’un saint chrétien a longtemps été déconseillée, voire proscrite, par les autorités islamiques, d’autant que la Saint-Valentin ne représenterait que la christianisation d’un rite païen associé au dieu de la Fécondité, Lupercus, dans l’Antiquité romaine. Cette combinaison sulfureuse ne pouvait que troubler les oulémas, littéralement ces « savants » de l’Islam, qui sont censés édicter les normes à suivre par les fidèles. Les régimes contemporains qui se prévalent d’une forme de légitimité religieuse en ont rajouté dans les restrictions, qu’il s’agisse de la Malaisie, où des dizaines de personnes avaient été arrêtées en 2011 sur la base d’une fatwa proscrivant la Saint-Valentin; de l’Indonésie, où cette fête avait été en partie interdite en 2012; de la République islamique du Pakistan, où la Haute Cour avait instauré une prohibition similaire en 2017; de l’Iran, où les célébrations publiques sont interdites, même si les festivités privées sont tolérées.
Dans le monde arabe, seule la monarchie saoudienne se distinguait par une ligne aussi « dure ». La vente de tout produit rouge y avait été bannie en février 2008, ce qui n’avait fait qu’entraîner le développement d’un marché parallèle de roses rouges, vendues à six fois leur prix. Mais cette prohibition a été suspendue au bout de dix ans, sur fond de « modernisation » autoritaire par le prince héritier, Mohammed Ben Salman, le véritable homme fort de la monarchie, qui a sévèrement bridé les activités de la police religieuse. L’ancien chef de cette police à La Mecque, le cheikh Ahmed Qassem al-Ghamdi, a même déclaré en 2018 que « c’est un acte de bonté d’échanger des voeux pour les fêtes occidentales, nationales et sociales, y compris la Saint-Valentin, où il est licite d’échanger des roses, à condition que ce soit avec des personnes pacifiques qui n’entretiennent aucune animosité ou hostilité à l’encontre des Musulmans ». Une telle ouverture du royaume wahhabite avait été précédée dans le reste du monde arabe par des déclarations de tolérance envers la Saint-Valentin, émises par les plus hautes autorités religieuses, entre autres en Egypte et en Tunisie.

Vitrine de Saint-Valentin dans la ville syrienne de Rakka, le 14 février 2019 (Bulent Kilic, AFP)
UNE CELEBRATION CONSUMERISTE
Les roses rouges constituent désormais, dans le monde arabe comme ailleurs, le cadeau attendu le 14 février. Un fleuriste de Casablanca affirme réaliser ce jour-là un chiffre d’affaires dix fois supérieur à celui des autres jours de l’année. Les marchands de chocolat ne sont pas en reste, avec une préférence pour les marques belges au Maghreb, suisses au Moyen-Orient. L’éventail des cadeaux s’étale ensuite de l’ours en peluche plus ou moins rouge jusqu’aux parfums et à la maroquinerie, voire à la lingerie, qui bénéficie d’un engouement sensible dans la région. Des restaurants proposent des menus spéciaux pour la Saint-Valentin, parfois couplés à des offres d’hébergement. De nombreux hôtels de Beyrouth sont depuis le début de ce mois pavoisés de coeurs rouges. L’un d’eux offre ainsi une formule dîner-chambre, avec « décoration florale », « lumières romantiques » et « gâteau en forme de coeur ».
Il serait cependant erroné de réduire la Saint-Valentin à un simple rite consumériste. Les photographies ci-dessus témoignent de l’affirmation à cette occasion d’une authentique pulsion de vie, que ce soit dans la Bagdad ravagée par la guerre civile et les attentats, ou dans Rakka, berceau en 2013 du bien mal nommé « Etat islamique » et libérée du totalitarisme jihadiste quatre années plus tard. La volonté de célébrer la fin d’un tel cauchemar est alors évidente, en dépit des étalages de plus ou moins bon goût que la Saint-Valentin favorise. Pour une ancienne candidate aux municipales saoudiennes, la tolérance actuelle pour la Saint-Valentin permet de conjurer les souvenirs de la répression, jusqu’à tout récemment, de cette fête des amoureux: « cela a créé une nouvelle culture qui est très agréable, qui promeut l’amour et la paix, car toute opportunité doit être saisie pour exprimer l’amour ». L’amour et la paix, la paix et l’amour, Peace and love, le monde arabe en a assurément besoin, et pas seulement le 14 février.