Un visa et Zakaria, 28 ans, a dit au revoir au Maroc. En juillet 2018, cet ingénieur informatique, qui travaillait à Capgemini à Casablanca, est parti pour Paris et une banque française. « Salarié au Maroc, je payais 40 % d’impôt pour toucher 7 000 dirhams net mensuels [665 euros]. En France, je suis payé 44 000 euros par an, mon pouvoir d’achat a nettement augmenté pour assurer le même travail », détaille-t-il.
Depuis son arrivée en France, il a déjà été augmenté deux fois, a bénéficié de formations internes payées par son entreprise afin de devenir référent sur un logiciel spécifique. « Je n’aurai jamais eu accès à tout cela au Maroc », résume le jeune homme, dont les deux tiers de ses anciens collaborateurs sont aussi arrivés en France.

Plus de 600 ingénieurs quittent le pays annuellement dans le cadre du fléau qu’on appelle aujourd’hui fuite des cerveaux », a déclaré en janvier 2019 devant la Chambre des Représentants Saïd Amzazi, Ministre de l’Éducation Nationale, de la Formation Professionnelle, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Au même moment, l’Association des Ingénieurs de l’École Nationale Supérieure d’Informatique et d’Analyse des Systèmes (ENSIAS) a affirmé que, sur les récentes promotions, jusqu’à 80 % des lauréats ont été embauchés par des entreprises européennes. De son côté, la Fédération Marocaine des Technologies de l’Information, des Télécommunications et de l’Offshoring (APEBI) annonce que le secteur IT au Maroc perd chaque mois 50 ingénieurs et que trois entreprises étrangères viennent tous les 15 jours pour recruter une dizaine d’ingénieurs.
Dernièrement, ces chiffres faisant état de la fuite des cerveaux marocains ne cessent de défrayer la chronique. De ce fait, les employeurs marocains dénoncent le débauchage massif mené par les firmes étrangères. Atos, entreprise française de services numériques, en a par exemple fait les frais : sa campagne de recrutement lancée début 2019 au Maroc a créé une vive polémique. « La fuite des cerveaux n’est pas un phénomène nouveau. Il est simplement mis à nu par l’évolution et les besoins du secteur des hautes technologies alors qu’il concerne tous les secteurs. Plus de 7 000 médecins marocains exercent en France et 38 000 jeunes Marocains y font leurs études. Combien réintègrent l’économie marocaine à la fin de leurs cursus ? » s’interroge Saloua Karkri Belkeziz, Présidente de l’APEBI.

Quelles motivations pour les candidats au départ ?
80 % des actifs marocains souhaiteraient travailler en dehors du Maroc selon l’étude Global Talent Survey* 2018 qui a porté sur un échantillon de plus de 360 000 personnes réparties dans 198 pays, dont 6 721 Marocains. Ce pourcentage est très largement au-dessus de la moyenne mondiale qui se situe à 57 % et qui a connu une hausse de trois points depuis 2014. 97 % des répondants marocains habitent actuellement au Maroc, 83 % ont moins de 30 ans, 65 % sont des hommes (33 % de femmes) et 77 % ont au minimum un Bac+5 (cadres et professions intermédiaires). Selon la Global Talent Survey, les trois principales raisons qui motivent les candidats à l’expatriation sont (dans cet ordre) : acquérir de l’expérience professionnelle, enrichir leur expérience personnelle et chercher de meilleures opportunités de carrière. Le Canada se classe toujours parmi les trois premiers pays les plus convoités (2eplace après la France), suivi par l’Allemagne et les États-Unis.
Les IT, parmi les recrues les recherchées
Parmi les métiers les plus recherchés, le secteur des IT a le vent en poupe particulièrement à l’étranger. Selon ReKrute, la fonction informatique reste la plus plébiscitée et connait une évolution soutenue à travers les années, surtout en raison de la grande popularité des profils IT marocains auprès des entreprises étrangères. Ceux qui sont les plus cotés sur le marché international sont principalement les informaticiens hautement qualifiés, ayant au minimum un Bac+4 ou un diplôme en école d’ingénieur, et une expérience professionnelle comprise entre 3 à 5 ans.
Chiffres clés sur la fuite des cerveaux
- 60 % des informaticiens marocains auraient déjà été approchés par des recruteurs à l’étranger. Pour les Bac + 4, ce chiffre grimpe à 85 %.
- Plus de 600 ingénieurs quittent le Maroc annuellement à destination de l’Europe, du Canada ou des États-Unis.
- 91 % des Marocains veulent partir travailler à l’étranger selon l’étude de Rekrute.com.
- Environ 8 000 hauts cadres marocains, formés dans les secteurs public et privé du Royaume, quittent chaque année le Maroc.
Les motivations des Marocains
D’après l’enquête Global Talent Survey 2018*, les priorités des Marocains au travail sont presque toutes liées aux missions du poste. L’évolution de carrière, l’élaboration d’un plan de carrière réussi, l’atteinte de leurs objectifs professionnels et le développement des compétences représentent le premier critère de motivation des salariés marocains. Viennent ensuite les opportunités de carrière offertes par le poste. La quête de sécurité constitue également l’une des motivations principales.
Par ailleurs, les Marocains accordent une grande importance à la couverture sociale et en font même un critère de choix : lesavantages sociaux figurent à 10eposition dans le classement alors qu’ils se situent au 23e rang au niveau mondial. La rémunération, quant à elle, ne fait pas partie du top 10 de leurs priorités.
Grande enquête sur la mobilité internationale et le comportement des travailleurs, menée par The Boston Consulting Group, The Network et le portail ReKrute.Revues Conjoncture.
Les médecins Marocains résidant à l’étranger .

On estime actuellement à plus de 5000 personnes, les MRE qui travaillent dans le domaine de la santé (médecins, chirurgiens, dentistes, etc.) et ils sont fortement concentrés en France. Les statistiques officielles en France parlent de 1400 médecins spécialistes (soit 15 à 20% des médecins spécialistes marocains). Le nombre de nouveaux arrivants a beaucoup diminué ces dernières années du fait des difficultés d’obtenir les autorisations d’exercer la médecine en France. Les médecins, et en général les professionnels de la santé issues de l’immigration marocaine, sont représentés dans toutes les spécialités. En France, que je connais bien, les médecins marocains sont connus pour leur compétence et le sérieux de leur travail et de leurs relations avec leurs collègues. Ils sont plus représentés dans les spécialités médicochirurgicales et ils privilégient le mode d’exercice hospitalier. La quasi totalité de ces collègues réussissent des parcours professionnels exemplaires, .
Oxfam accuse l’Europe d’être responsable de la fuite des cerveaux au Maroc

Une nouvelle publication d’Oxfam pointe du doigt les politiques commerciales de l’Union Européenne.
Une nouvelle publication d’Oxfam pointe du doigt les politiques commerciales de l’Union Européenne. Ces politiques jugées « injustes, incohérentes et contreproductives » ont causé des pertes d’emplois, une fuite des cerveaux et ont eu des effets extrêmement négatifs sur les populations les plus vulnérables de la région d’Afrique du Nord notamment au Maroc et en Tunisie, affirme l’ONG.
Dans un rapport intitulé « Manque d’harmonie en profondeur : les politiques migratoires et économiques de l’Union européenne vers l’Afrique du Nord », l’organisation internationale a indiqué que les politiques étrangères de l’Union européenne sont « injustes et incohérentes et affectent les pays cette région ». Le rapport qui du reste est autrement intitulé « Intrinsèquement incohérentes » a été fraîchement publié par Oxfam. Il prend sur lui l’examen de l’impact de deux décennies de négociations commerciales et migratoires asymétriques entre l’Union Européenne et l’Afrique du Nord, notamment dans notre pays et la Tunisie. Le rapport conclut que ces politiques européennes « néfastes » ont privé les populations locales de moyens de subsistance et d’opportunités économiques, les ont poussés vers la migration notamment vers l’Europe tout en empêchant cette migration d’avoir lieu en même temps.
Selon le rapport, les politiques de l’Europe à l’égard de l’Afrique du Nord, en particulier du Maroc et de la Tunisie, sont centrées sur un premier programme de libéralisation des échanges par le biais d’accords de libre-échange. Sur un deuxième ordre du jour, il cherche à réduire l’immigration, qu’elle soit liée à la migration régulière ou irrégulière.
De l’avis d’Oxfam, les deux programmes n’étaient souvent pas cohérents. Le rapport de l’organisation internationale, qui s’intéresse aux questions de pauvreté, de justice et d’égalité dans le monde, a appelé à un rééquilibrage des politiques d’immigration et de libéralisation du commerce lors de la reprise des négociations pour l’Accord de libre-échange approfondi et global (ALECA) temporairement suspendu en raison de la pandémie du coronavirus. Pour Nabil Abdo, le conseiller politique régional d’Oxfam pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, « Vingt ans d’incohérence politique ont causé d’énormes dommages aux groupes les plus pauvres et les plus vulnérables d’Afrique du Nord »
Pour lui, si les politiques commerciales et migratoires interdépendantes de l’UE ont eu des conséquences mitigées, les coûts humains et sociaux eux sont clairs. Ces accords bénéficient à l’Union Européenne au détriment des Marocains et des Tunisiens. « La pandémie du Coronavirus démontre plus que jamais que les 2 pays ont besoin de politiques commerciales qui œuvrent en leur faveur » ajoute Nabil Abdo qui affirme que les politiques migratoires et commerciales doivent être rééquilibrées lorsque les négociations autour de l’Accord de Libre Echange Complet et Approfondi (ALECA) auront repris.
Le rapport a également noté que « les mesures de politique commerciale actuellement appliquées par l’Union européenne ont fait stagner le développement économique dans la région de l’Afrique du Nord et affecter pour ne pas dire anéanti des secteurs tels que l’agriculture et le textile ». Le rapport a également déclaré que « les politiques commerciales et d’immigration de l’Union européenne ont produit diverses répercussions, car les impacts humanitaires et sociaux dans ces pays montrent que l’Union européenne a été le principal gagnant, tandis que les Tunisiens et les Marocains sont les perdants de ces accords ».
Selon le rapport, « l’approche politique actuelle donne la priorité à la libéralisation des marchés nord-africains, qui a conduit à un taux de chômage élevé, des pertes d’emplois dans les secteurs agricole et manufacturier, et une augmentation de l’emploi informel et déficient ». Oxfam a appelé l’Union européenne, le Maroc et la Tunisie à garantir la reprise des négociations d’une manière qui soutienne le redressement juste et global de toutes les personnes vivant en Afrique du Nord, qui devrait viser, en substance, à réduire les inégalités et à promouvoir la prospérité et le développement.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans le secteur des technologies de l’information, 3 entreprises étrangères viennent au Maroc tous les 15 jours pour recruter 10 ingénieurs. Donc un total de 600 ingénieurs marocains quitte le Maroc chaque année. La fuite ne se limite pas au secteur des technologies de l’information mais frappe également d’autres secteurs (éducation, médecine…).

Face à cette situation déplorable, les grands opérateurs du secteur sont appelés à se serrer les coudes et réagir vite.
« Il est difficile de concurrencer l’offre des entreprises étrangères. D’abord parce qu’elles offrent des salaires aux niveaux européens, et surtout parce que cela reste le rêve de la plupart des jeunes marocains de vivre en Europe. En tant que premier employeur dans le secteur IT dans le Nord du Maroc, cette problématique nous tient particulièrement à cœur pour retenir nos talents au Maroc. » explique Fred Sabbah, Directeur Général de la multinationale everis, filiale du géant NTT DATA. En vue d’y remédier un tant soit peu, l’équipe d’everis s’est donc mise à l’écoute de ses collaborateurs et a décidé d’adopter un programme de flexibilité des horaires et lieux de travail.
Il s’agit d’un programme s’articulant autour de quatre axes, avec pour leitmotiv de permettre aux collaborateurs d’everis d’avoir une véritable qualité de vie personnelle, qui a priori fait généralement cruellement défaut dans la majorité des grandes entreprises privées. Les cadres ont plus besoin d’un cadre sain et favorable pour donner le meilleur d’eux-mêmes.
Il semble que le programme d’everis a pu apporter les fruits escomptés.
En effet, il ressort d’une enquête internationale menée par les cabinets BCG et The Network l’année dernière, en collaboration avec le cabinet Rekrute pour le Maroc, et pour laquelle ont été interrogés 6.721 marocains (évoluant dans l’industrie et les nouvelles technologies) que le salaire n’est pas la préoccupation majeure de ces Marocains. Il ne figure même pas dans le top 10 des préoccupations. Alors que l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle et un environnement de travail favorable y figurent.
C’est dire que les responsables marocains sont appelés à être plus souples envers leurs collaborateurs et leur offrir un cadre de travail plus. Comme dit le proverbe : « L’argent n’est que la fausse-monnaie du bonheur ».
La balle est aussi dans le camp de l’Etat qui à son tour ne doit pas lésiner sur les moyens pour rapatrier ses cerveaux. Comment ? En favorisant davantage la Recherche & Développement.