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Conspiracy Watch : Qui est complotiste ?

Gare au complotisme qui pollue l’information et manipule les foules. Heureusement, il y a Conspiracy Watch ! L’observatoire protège les braves citoyens des fake news. Oui, mais… Il y aurait visiblement le bon et le mauvais complotisme. Si bien qu’on finirait par s’y perdre. À moins que cette chasse aux complotistes soit instrumentalisée pour exclure du débat les voix qui s’élèvent contre la propagande de guerre ? (I’A)

Dans un tweet datant du 13 septembre 2023, Conspiracy Watch prévient qu’à la Fête de l’Humanité, le conférencier « conspirationniste » Michel Collon y est invité à prendre la parole. Merci pour votre prévenance !

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Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Michel Collon est décrit ainsi. Nous pouvons notamment rappeler cet extrait :  Le Belge Michel Collon, fondateur du site de « réinformation » complotiste Investig’action.

Tout d’abord qui est Conspiracy Watch ?

La description de son directeur-fondateur, Rudy Reichstadt, faite par Benoît Bréville du Monde Diplomatique est particulièrement éclairante :

Il se présente pompeusement comme « politologue de formation », « directeur de Conspiracy Watch, l’observatoire du conspirationnisme » et « membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès ». Adoubé par le ministère de l’Éducation nationale, qui le met à l’honneur dans sa ressource en ligne « Déconstruire la désinformation et les théories conspirationnistes », Rudy Reichstadt n’a pourtant rien d’un chercheur. Et son site relève davantage du blog collectif que d’un quelconque « observatoire ».

Lassé de lire des extravagances sur Internet, le jeune homme fonde en 2007 Conspiracy Watch. Son acharnement à traquer les conspirationnistes de tous poils lui gagne la sympathie de l’historien Pierre-André Taguieff et de Bernard-Henri Lévy, lequel lui ouvre les portes de sa revue La Règle du jeu. Célébré par Caroline Fourest comme un « éclaireur », il s’impose dans les médias en tant qu’expert ès théories du complot. Il multiplie les entretiens et les tribunes dans Le Monde, Libération, Le Parisien, etc. Quand les universitaires Gérald Bronner et Pierre-André Taguieff ne sont pas libres, c’est lui qu’on invite pour commenter les dernières élucubrations sur tel ou tel attentat.

Rudy Reichstadt n’aime pas les critiques. Pour s’y être essayé, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), s’est vu accusé de « banaliser » les théories du complot antijuives. Il n’aime pas non plus ce qui lui paraît trop à gauche : le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn, accusé de « liens avec la mouvance conspirationniste » ; le sociologue et vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies Jean Ziegler, qui aurait un « tropisme conspirationniste » ; M. Jean-Luc Mélenchon, dont les conceptions de politique étrangère rejoindraient « les obsessions conspirationnistes martelées depuis des années par des médias iraniens et russes » ; ou l’économiste et philosophe Frédéric Lordon, qui parviendrait « à dépasser la question décidément gênante du complotisme par plus de complotisme ensemble ».

Le site Les Crises en conflit avec Conspiracy Watch (CW) y a consacré un dossier très documenté. On y apprend notamment comment CW a contribué à la fabrication d’un sondage largement médiatisé qui se révéla être une Fake News. Il concluait que 79 % des Français étaient complotistes. Comme le démontre Olivier Berruyer, « ce sondage présente à l’évidence de lourdes lacunes méthodologiques, imperfections et inductions qui font que sa conception ne pouvait que produire un tel résultat ». Je vous conseille aussi de jeter un œil sur les deux articles de l’Observatoire des Sondages toujours sur le même sujet.

Guerre en Libye: le complotisme des uns, et celui des autres

Ayant envie d’en savoir plus, je m’aventure donc sur le site Conspiracy Watch, où je trouve une « Notice personnalité » dédiée à Michel Collon. On y apprend que ce complotiste est l’« auteur de livres sur Hugo Chavez, Israël ou la Libye ». « Michel Collon est un infatigable dénonciateur de ce qu’il appelle les ‘‘médiamensonges’’ que diffuserait selon lui la presse professionnelle. […] Il se rend en Libye, à l’invitation du régime du colonel Kadhafi. ». La référence utilisée pour ce dernier élément est un article datant du 5 juin 2012 du Monde qui le décrit comme étant « antiaméricain et antisioniste ». « Il a beaucoup milité contre l’opération de l’OTAN en Libye ». Cet article est d’ailleurs aussi présent sur le site Conspiracy Watch.

Profitons-en donc pour approfondir ce qu’a dit Michel Collon sur ce conflit en 2011 :

Il y a donc bel et bien bataille pour l’or noir libyen. D’autant plus pour un pays comme la France. […] Tiens, voilà quelque chose qu’on ne nous avait pas raconté sur le méchant Kadhafi ! Qu’il aidait les Africains à s’émanciper de l’étouffante tutelle des Occidentaux. Y aurait-il encore d’autres non-dits de ce genre ?[1]

Ou encore :

Quand Obama le dit lui-même, vous ne le croyez pas non plus ? Ce 28 mars, Obama a justifié ainsi la guerre contre la Libye : « Conscients des risques et des coûts de l’action militaire, nous sommes naturellement réticents à employer la force pour résoudre les nombreux défis du monde. Mais lorsque nos intérêts et valeurs sont en jeu, nous avons la responsabilité d’agir. Vu les coûts et les risques de l’intervention, nous devons chaque fois mesurer nos intérêts face à la nécessité d’une action. L’Amérique a un important intérêt stratégique à empêcher Kadhafi de défaire ceux qui s’opposent à lui. » […]

Mais, dès que vous émettez un doute sur l’opportunité de cette guerre contre la Libye, tout de suite, on vous culpabilise : « Vous refusez donc de sauver les Libyens du massacre ? »

Question mal posée. Supposons que tout ce qu’on nous a raconté se soit vraiment passé. Premièrement, arrête-t-on un massacre par un autre massacre ? Nous savons qu’en bombardant, nos armées vont tuer de nombreux civils innocents. Même si, comme à chaque guerre, les généraux nous promettent que celle-ci sera « propre », nous avons l’habitude de cette propagande.

Deuxièmement, il y avait un moyen beaucoup plus simple et efficace de sauver des vies tout de suite. Tous les pays d’Amérique latine ont proposé d’envoyer immédiatement une mission de médiation, présidée par Lula. La Ligue arabe et l’Union africaine soutenaient cette démarche et Kadhafi avait accepté (proposant aussi d’envoyer des observateurs internationaux pour vérifier le cessez-le-feu). Mais les insurgés libyens et les Occidentaux ont refusé cette médiation. […]

Des câbles diffusés par Wikileaks avertissaient que l’est de la Libye était, proportionnellement, le premier exportateur au monde de « combattants – martyrs » en Irak. Des rapports du Pentagone décrivaient un « scénario alarmant » sur les rebelles libyens de Benghazi et Derna. Derna, ville de 80.000 habitants à peine, serait la première source de jihadistes en Irak. De même, Vicent Cannistraro, ancien chef de la CIA en Libye, signale parmi les rebelles beaucoup d’ « extrémistes islamiques capables de créer des problèmes » et que les « probabilités [sont] élevées que les individus les plus dangereux puissent avoir une influence dans le cas où Kadhafi devrait tomber ».

Évidemment, tout ceci s’écrivait lorsque Kadhafi était encore « un ami ». Mais ça montre l’absence totale de principes dans le chef des USA et de leurs alliés. Quand Kadhafi a réprimé la révolte islamiste de Benghazi en 2006, ce fut avec les armes et le soutien des Occidentaux. Une fois, on est contre les combattants à la Ben Laden. Une fois, on les utilise. Faudrait savoir.

Parmi ces diverses « oppositions », quel élément l’emportera ?[2]

Dans le livre Libye, OTAN et médiamensonges datant aussi de 2011, Michel Collon explique à la page 130 comment les répressions des manifestations à Benghazi furent violentes tout en débunkant les « massacres de masses ».

Pourtant qu’apprend-on des années après :

 En 2016, la commission des affaires étrangères du Parlement britannique publie un rapport affirmant que l’intervention militaire « fut fondée sur des postulats erronés », que la menace d’un massacre de populations civiles a été « surévaluée » et que la coalition n’a pas « vérifié la menace réelle pour les civils » ; elle estime également que les véritables motivations de Nicolas Sarkozy étaient de servir les intérêts français et d’ « améliorer sa situation politique en France »[3],[4]

Selon Crispin Blunt, le président de la commission, le gouvernement Cameron aurait pu privilégier d’autres options qui auraient amené à de meilleurs résultats. « Un engagement politique aurait pu permettre de protéger la population civile, de changer et de réformer le régime à un coût moindre pour le Royaume-Uni et la Libye », estime-t-il.
« Le Royaume-Uni n’aurait rien perdu en suivant ces pistes, au lieu de se focaliser exclusivement sur le changement de régime par des moyens militaires », a-t-il affirmé dans un communiqué[5].

Pour les auteurs du rapport, le gouvernement britannique de l‘époque a aussi sous-estimé l’influence des islamistes radicaux au sein de la rébellion. Presque cinq ans plus tard, le chaos continue de régner en Libye où le gouvernement reconnu par la communauté internationale peine à asseoir son autorité[6].

En 2015, la presse américaine révèle l’affaire dite de l’emailgate : l’ancienne secrétaire d’État américaine Hillary Clinton est accusée d’avoir mis en danger la sécurité de données confidentielles en utilisant sa messagerie personnelle dans le cadre professionnel. Une série de courriels est rendue publique et dévoile des documents relatifs à l’intervention française en Libye. Un mémo liste cinq facteurs motivant l’engagement du président Nicolas Sarkozy à mener cette guerre : « un désir d’obtenir une plus grande partie du pétrole libyen ; accroître l’influence française en Afrique du Nord ; améliorer sa situation politique intérieure en France ; offrir à l’armée française une chance de rétablir sa position dans le monde ; et répondre à l’inquiétude de ses conseillers concernant les plans à long terme de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique de l’Ouest — le gouvernement voit notamment d’un mauvais œil le projet de Kadhafi d’introduire une nouvelle devise panafricaine pour supplanter le franc CFA, basée sur le dinar or libyen et appuyée par des réserves secrètes d’or d’une valeur de 7 milliards de dollars ».

Un autre mémo, daté du 5 mai, évoque des vols humanitaires organisés mi-avril 2011, qui auraient compté parmi les passagers des cadres de Total, de Vinci, et de l’EADS. Bernard-Henri Lévy, intermédiaire entre le président français et les insurgés, aurait fait savoir aux responsables du CNT qu’ils « avaient une dette envers la France au vu de son soutien précoce et que Sarkozy avait besoin de quelque chose de tangible à présenter aux leaders politiques et économiques français. » Selon une note de septembre 2011, Nicolas Sarkozy aurait exhorté les Libyens à réserver 35 % de leur industrie pétrolière à des entreprises françaises, en particulier Total. Alors que la France représentait 9,7 % des exportations libyennes en 2012, elle devient en 2014 le deuxième client de la Libye, avec 13,1 % des exportations. Elle devance alors la Chine (qui voit sa part des exportations chuter de 12,4 % à 4 % dans le même temps) ainsi que l’Allemagne, mais reste derrière l’Italie, ancienne puissance coloniale du pays. En 2013, le pétrole représentait 97,31 % des exportations libyennes.[7],[8]

Tout cela n’est cependant pas mentionné par Conspiracy Watch sur la page de Michel Collon. Rappelons que cette guerre a fait entre 10 et 30 mille morts[9],[10].

Allons maintenant voir ce qu’on pouvait trouver en temps réel dans certains grands médias :

Une semaine après le début des hostilités, Jean Daniel résuma en des termes plus châtiés la pensée médiatique française : « S’il n’y a pas de guerre juste, il y a des résistances légitimes et des solidarités qui s’imposent. Fallait-il laisser Kadhafi massacrer les jeunes révoltés de Benghazi? Dès le début, je me suis dit que c’était inconcevable. » Donc il fallait bombarder. « L’intervention pourrait faire des victimes civiles? ». Jean Daniel balaya cette crainte : « C’est ce qu’on appelle d’ordinaire des ‘‘bavures‘‘ ou des ‘‘dommages collatéraux’’. » (Libération, 28 mars 2011) » [11].

Alexandre Adler pour Le Figaro : « Je fais un rêve : celui d’une intervention en Libye… » [12]

Le vendredi 18 mars, le Grand Journal de Canal plus reçoit « trois grands observateurs de l’actualité » : Thomas Legrand (de France Inter), Yves Thréard (du Figaro), Alain Duhamel (d’un peu partout). La Libye est bien évidemment évoquée : Michel Denisot explique que, suite à la résolution de l’ONU, les autorités libyennes ont annoncé un cessez-le-feu. On assiste alors à une scène surréaliste, au cours de laquelle Jean-Michel Aphatie et son camarade Yves Thréard nous livrent une analyse d’une exquise finesse :

– Alain Duhamel : « […] Un cessez-le-feu, c’est parce qu’ils veulent voir venir, sûrement ».

– Jean-Michel Aphatie : « Ils ont les jetons. »

– Yves Thréard : « Kadhafi est un peureux. »

– Alain Duhamel : « Faut pas non plus les caricaturer… »

– Jean-Michel Aphatie : « Moi je pense qu’ils ont un peu la trouille. »[13]

Devant ces excellentes analyses qui n’ont pas contribué à réduire le nombre de civils décédés durant cette guerre (environ 2000 !)[14], Conspiracy Watch a-t-il consacré des « notices personnalités » à Alexandre Adler, Jean-Michel Aphatie, Alain Duhamel ou Jean Daniel ? Eh bien malheureusement non. Pourtant ce type de déclarations a contribué à ce qu’en avril 2011, 63% des Français approuvent l’intervention des forces occidentales en Libye[15]. Pour Conspiracy Watch, cela n’est pourtant pas suffisant pour leur consacrer une page. Nous pourrions faire la même analyse avec d’autres pays comme le Venezuela ou la Syrie, mais avançons.

D’autres complotistes en vue ?

En continuant la recherche sur le site de Conspiracy Watch, je découvre que le journaliste indépendant spécialiste du Moyen-Orient, Maxime Chaix a aussi été rangé dans le sac du complotisme. En effet, dans un article destiné à Olivier Berruyer du site Les Crises, on apprend que ce dernier « distillait avec une constance remarquable des contenus d’auteurs notoirement complotistes (j’ai cité Paul Craig Roberts et Annie Lacroix-Riz, je pourrais rajouter François Asselineau, Nafeez Ahmed, Maxime Chaix, etc., comme s’il n’y avait pas, sur les sujets traités, d’autres analyses plus dignes d’intérêt. »

Comme nous n’allons pas analyser chaque personne citée ici, allons voir ce qui est reproché concrètement à Maxime Chaix. On apprend qu’il a beaucoup contribué à la page Wikipédia d’un autre auteur considéré comme complotiste, Peter Dale Scott, et qu’il a été son traducteur pour le compte des éditions Demi-Lune (complotistes aussi).

Brrr, de quoi éviter le livre de Maxime Chaix La guerre de l’ombre en Syrie. CIA, pétrodollars et djihad. Le fait qu’il ait reçu des recensions plus qu’intéressantes n’y changera rien, il existe des personnes plus dignes d’intérêt.

Dans la continuité des analyses de CW qui nous aide à comprendre qui est complotiste, revenons à la page dédiée à Michel Collon : il participe à la conférence conspirationniste organisée à Bruxelles par Thierry Meyssan, Axis for Peace, un événement notamment sponsorisé par l’audiovisuel public iranien (IRIB), Russia Today, TeleSUR ou encore la publication d’extrême droite American Free Press fondée par Willis Carto.

Puisqu’il est important pour CW de décrire les fréquentations des complotistes[16], appliquons ici la même méthodologie.

Rudy Reichstadt a participé à deux séminaires de « La Règle du Jeu » (revue fondée par Bernard-Henri Lévy) : « Décrypter les rhétoriques de la conspiration », le 23 septembre 2012 et « Radicalisation politique et théories du complot », le 16 juin 2013.

Surprenant, quand on voit le nombre d’énormités proférées par BHL dans des sujets pourtant graves et avec la médiatisation qu’on lui connaît[17].

Nous ne pourrons pas ici passer à travers tout son curriculum vitae, mais quelques éléments de rappel ne nous feront pas de mal :

Blast a consacré un dossier sur la contribution de BHL dans le chaos libyen[18]:

En remontant la piste de l’essayiste en Libye, on peut facilement constater qu’il a bien été en contact avec des représentants locaux du Qatar. Avec Waheed Burshan, par exemple : réputé proche des Frères Musulmans, la confrérie islamiste protégée depuis des décennies par l’émir de Doha, ce Libyen a longtemps été exilé aux Etats-Unis. Il est ensuite revenu dans son pays dès les premiers jours de la rébellion pour intégrer le Conseil national de transition, l’instance qui regroupait les insurgés jusqu’à la chute de Kadhafi (dont plusieurs ex-rouages importants de son régime). Comme l’indique son profil LinkedIn, Waheed Burshan a dirigé des sociétés qataries. Il est aujourd’hui à la tête de la Libya Qatari holding.

Le samedi 1er novembre 2014, Bernard-Henri Lévy retrouve Waheed Burshan et d’autres hommes politiques libyens pour un déjeuner à Tunis, comme l’illustre une photo prise à cette occasion. À peine éventé, ce rendez-vous provoque l’ire des Tunisiens : BHL sera obligé d’écourter son voyage, le pouvoir local n’appréciant pas de le voir s’afficher ainsi aux côtés d’islamistes notoires, qui ont mis à feu et à sang le pays voisin. La proximité entre BHL et Waheed Burshan est telle que le second a même été invité à publier sur bernard-henri-levy.com, site à la gloire du philosophe. Intitulé « Lettre à la nation libyenne », le texte de son ami libyen est mis en ligne en décembre 2014.

Pour parfaitement situer Waheed Burshan, la nature et l’intérêt d’une telle relation, on peut lire utilement une enquête publiée en septembre 2018 par mondafrique.com. Selon le site d’informations, BHL a fait sa connaissance alors que les deux hommes se trouvaient dans le Djebel Nefoussa, un haut plateau à l’ouest de la Libye proche de la frontière tunisienne. C’est d’ailleurs aux rebelles qui tenaient ce djebel, la Brigade des martyrs du 17 février soutenue par le Qatar, que la France a livré en 2011 quelque 40 tonnes de matériels de guerre.

Une chose est sûre : dix ans après les faits, BHL ne regrette rien du chaos qu’il a contribué à installer en Libye et dans les pays voisins, en se faisant passer pour l’émissaire de l’Élysée – et en assurant la promotion de ceux qu’il appelait à l’époque « les Massoud libyens » (sic) pour vendre l’intervention militaire occidentale à Paris à son ami Nicolas Sarkozy. Interrogé mardi 4 mai dans l’émission C Ce Soir de France 5, à l’occasion de la sortie d’un énième livre consacré à lui-même (Sur la route des hommes sans nom, Grasset), le philosophe a même revendiqué son rôle dans cette histoire : « Je ne regrette pas ce qui a été fait à l’époque en Libye. C’est pas guerre juste ou pas guerre juste. En ce temps-là, il y a dix ans […] la question était de savoir si on laissait un dictateur noyer ses villes dans des rivières de sang. »

Que ces « rivières de sang » évoquées sur l’antenne de France 5 n’aient jamais existé que dans les manipulations médiatiques du Qatar, opérées via sa chaîne d’info Al Jazeera, ne trouble toujours pas BHL. Mais que des rivières de sang provoquées par les milices islamistes – qui ont profité du conflit libyen pour s’armer – noient le Mali, le Niger et le Burkina Faso depuis l’effondrement de la Libye ne semble pas plus le déranger aujourd’hui. Celles-là sont bien réelles.

Le Point décrivait en 2011 :

“Ministre des Affaires étrangères bis”, “diplomatie de perron”, “chef de guerre” : beaucoup a été écrit sur le rôle joué par Bernard-Henri Lévy dans le déclenchement de la guerre en Libye et la reconnaissance par la France du Conseil national de transition (CNT) libyen. Mais BHL ne s’en est pas tenu à ce coup d’éclat initial, poursuivant son rôle insolite de lobbyiste pour les rebelles anti-Kadhafi et d’intermédiaire avec Nicolas Sarkozy. Une aventure rocambolesque et forcément romanesque au cœur du conflit, des montagnes libyennes aux cercles du pouvoir.

Acrimed analysait pour sa part sa grande présence médiatique durant le conflit libyen : entre 1er et le 24 mars 2011, il a en effet eu le droit à environ un passage par jour durant trois semaines à la radio ou la télévision, sans compter les articles de presse écrite, de BHL et sur BHL.

Nous avons ici décrit la seule partie libyenne, mais la liste est en réalité bien plus longue[19],[20],[21],[22],[23]!

Bien que les événements décrits ci-dessus se soient passés avant les séminaires, ils n’ont pas empêché Rudy Reichstadt d’y participer. Nous n’avons pas non plus eu droit aux analyses fracassantes de ses complots sur CW ni même de notice personnalité à l’heure où ces lignes sont écrites. Pour y avoir le droit, il est plutôt conseillé de traduire Peter Dale Scott.

Nous pourrions aussi citer Brice Couturier dont l’analyse est partagée sur CW bien qu’il ait contribué à un livre favorable à la guerre en Irak. Pourtant, même si la commission Chilcot a démonté les arguments en faveur de cette guerre, il évitera lui aussi la notice personnalité. Il évitera même les alertes de CW et Rudy Reichstadt sur ses potentielles invitations à s’exprimer. Contrairement à Olivier Berruyer qui était invité en 2016 à participer à une table ronde lors des Journées d’été d’« A Gauche pour gagner » (un courant du parti socialiste). L’intervention de CW a conduit à sa non-participation. Rappelons que la guerre a coûté la vie à environ un million d’Irakiens[24].

Nous pourrions continuer avec d’autres exemples, mais arrêtons-nous plutôt sur un constat évident. Nous voyons bien ici que dire des bêtises sur des sujets graves ne vous rend pas nécessairement complotiste aux yeux de CW. Certains « complots » sont simplement plus acceptables que d’autres.

Mais alors, quelles personnalités ont l’honneur d’une page sur Conspiracy Watch ?

Prenons quelques exemples :

Alain Soral ? Oui. Ça tombe bien, Michel Collon lui a consacré un livre où il déconstruit ses arguments. Il lui a même proposé un débat contradictoire qui est resté lettre morte. Le fondateur d’Investig’Action a notamment analysé les contradictions suivantes du livre Comprendre l’Empire? d’Alain Soral : 

Ils sont donc de plus en plus nombreux ceux qui cherchent une alternative au système et qui se posent des questions importantes. La toute première qui se pose aujourd’hui, alors qu’on cible de plus en plus le fameux « 1% » des super-riches, est évidemment : où se trouve le centre décisionnel de ce système ?

Et là, le problème est qu’avec Soral, on a beaucoup de réponses, on a même l’embarras du choix. Page 60, il nous dit que la plus grande fortune du monde, le centre caché du pouvoir, c’est la Federal Reserve (la banque centrale US à New York). Page 71, c’est plutôt l’ensemble des banques. Page 106, ce sont les francs-maçons. Page 109, ce sont plutôt les Juifs. Page 177, c’est l’Etat d’Israël. Page 113, c’est devenu carrément la secte secrète des Illuminati. Mais page 112, on apprend que tout cela provient en réalité de Satan. Ça fait beaucoup de cibles, non ?

On trouve aussi des « notices personnalités » pour des personnes telle qu’Oliv Oliv ou Valérian Ronzeau. Idriss Aberkane a droit lui à un article. Leurs positions sur le covid[25],[26],[27] tranchent aussi avec celles de Michel Collon qui tout en étant critique du gouvernement, ne remet pas en cause le consensus scientifique.

Nous pourrions continuer avec les analyses sur les Illuminatisla terre plate, etc. Si Michel Collon n’a pas été accusé de défendre ces thèses, CW n’aide pas non plus les lecteurs à différencier la rigueur des différents intervenants en les mettant tous dans le même sac du conspirationnisme.

En conclusion

Si tout le travail de Conspiracy Watch n’est évidemment pas à rejeter, nous ne pouvons que constater les éléments suivants :

  • Ce ne sont pas les analyses de Conspiracy Watch qui permettent de débunker les énormités des médias dominants en temps réel sur les causes de l’intervention occidentale en Libye (qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres). Je vous invite à voir leur site sur le sujet durant l’année 2011, c’est très révélateur.
    Pourtant les informations partagées par certains médias dominants, et bien démenties des années après, n’ont pas aidé à réduire le nombre de victimes innocentes.
  • L’idéologie joue donc un rôle important. CW décide qui est complotiste tout en fermant largement les yeux sur les « complots » proférés par des personnalités en accord avec l’idéologie dominante.
  • CW mélange les critiques sourcées et celles qui ne le sont pas, ce qui ne facilite pas la tâche aux lecteurs pour y voir plus clair.
  • Ils ne sont pas à l’abri eux-mêmes de fake news.

Pour dissiper tout malentendu, et même si cela a été refusé jusque-là, Michel Collon et Investig’Action réitèrent la proposition d’un débat. Celui-ci serait contradictoire et serein afin de laisser le temps à chacun d’argumenter en toute bonne foi. Pourraient ainsi être abordés des sujets tels que le « complotisme » de Michel Collon qui revient régulièrement ou les « biais » de Conspiracy Watch.


Source: Investig’Action


Notes

[1]. Michel Collon, « Comprendre la guerre en Libye (2/3) », Investig’Action, 8 avril 2011.

[2]. Michel Collon, « Comprendre la guerre en Libye (1/3) », Investig’Action, 7 avril 2011

[3]. Intervention militaire de 2011 en Libye. (2023, 20 avril). Dans Wikipédia.

[4]. Fabrice Arfi, « Le parlement britannique remet en cause les raisons de la guerre en Libye de Sarkozy », Mediapart, 15 septembre 2016.

[5]. https://www.letemps.ch/monde/un-rapport-parlementaire-britannique-denonce-lintervention-libye-2011

[6].  Pour les auteurs du rapport, le gouvernement britannique de l‘époque a aussi sous-estimé l’influence des islamistes radicaux au sein de la rébellion. Presque cinq ans plus tard, le chaos continue de régner en Libye où le gouvernement reconnu par la communauté internationale peine à asseoir son autorité.

[7]. Intervention militaire de 2011 en Libye. (2023, 20 avril). Dans Wikipédia.

[8]. Thomas Cantaloube, « Dans les mails d’Hillary Clinton, un autre récit de la guerre de Sarkozy et BHL en Libye », Mediapart, 28 juin 2015.

[9]. Ian Black, « Libyan revolution casualties lower than expected, says new government », The Guardian, 8 janvier 2013.

[10]. Asociated Press, « La guerre libyenne a fait 30 000 victimes », La Presse, 8 septembre 2011.

[11]. Serge Halimi, Mathias Reymond, Dominique Vidal et Henri Maler, L’opinion, ça se travaille… Les médias et les « guerres justes », Agone, 2014, page 202.

[12]. Alexandre Adler, « Je fais un rêve : celui d’une intervention en Libye… », Le Figaro, 4 mars 2011.

[13]. Julien Salingue, « Guerre de Libye : bavures médiatiques avant les premiers bombardements », Acrimed, 21 mars 2011.

[14]. « All belligerents in Libya ». Airwars.org,2011 (https://airwars.org/conflict/all-belligerents-in-libya-2011/).

[15]. « Sondage : des opinions ambivalentes devant l’intervention militaire en Libye », Le Monde, 12 avril 2011 (https://www.lemonde.fr/libye/article/2011/04/12/l-intervention-armee-en-libye-continue-de-beneficier-d-un-net-soutien-en-france_1506244_1496980.html).

[16]. Ceci revient en effet régulièrement dans la construction des différentes notices personnalités du site CW que je vous invite à voir.

[17]. https://www.acrimed.org/spip.php?page=recherche&recherche=Bernard-Henri+L%C3%A9vy&date1=&date2=

[18]. La cour d’appel de Paris a d’ailleurs débouté Bernard-Henri Lévy dans son procès contre Blast.

[19]. https://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/RIMBERT/18750

[20]. https://www.monde-diplomatique.fr/2014/03/BREVILLE/50212

[21]. https://www.monde-diplomatique.fr/2019/03/HALIMI/59614

[22]. https://www.monde-diplomatique.fr/IMG/pdf/colombie-bhl-lemoine.pdf

[23]. https://www.monde-diplomatique.fr/2003/12/DALRYMPLE/10866

[24]. « 1,3 million de morts: le vrai bilan de la ‘‘guerre contre le terrorisme’’ », Le Soir, 4 avril 2015 (https://www.lesoir.be/art/842738/article/actualite/monde/2015-04-04/13-million-morts-vrai-bilan-guerre-contre-terrorisme-infographie).

[25]. https://www.youtube.com/shorts/74XdQIWPhf0

[26]. https://www.youtube.com/watch?v=kxV8mkfzYrI

[27]. https://www.youtube.com/watch?v=Diyiab-KJ_8ATTENTION, MÉDIAS

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles, mais pas les photos, publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original.

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