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L’Algérie rompt le traité d’amitié avec l’Espagne : analyse et conséquences

sanchez et son homologue algérien posent devant les journalistes

C’est la chronique d’une mort annoncée. La décision du gouvernement algérien survient après différents signes que la Moncloa n’a pas voulu, pu ou su écouter.  Une mauvaise nouvelle à tous les points de vue pour l’économie et le positionnement géostratégique de l’Espagne dans la région.

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L’Algérie a annoncé mercredi la suspension immédiate du “traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération” avec l’Espagne, qui remonte à octobre 2002. Cette réaction a lieu seulement quelques heures après le discours de Pedro Sánchez au Congrès des députés, dans lequel le président du gouvernement réaffirmait sa position sur le Sahara Occidental. Il annonçait également une nouvelle politique de “relations étroites” avec le Maroc qui inclura un nouveau traité de coopération pour remplacer celui de 1991.

Un point de non-retour pour Alger

Des sources officielles algériennes, citées par l’agence de presse espagnole EFE, justifient leur décision en affirmant que “les autorités espagnoles se sont lancées dans une campagne pour justifier la position qu’elles ont adoptée sur le Sahara occidental, une violation de leurs obligations légales, morales et politiques en tant que puissance administrative du territoire sahraoui qui pèse sur le Royaume d’Espagne”. Pour l’Algérie, le changement radical de la position historique de l’Espagne envers son ancienne colonie est “injustifiable“.

L’Algérie constituait dans les années 80 et 90 un véritable sanctuaire pour les terroristes du monde entier, et en particulier ceux de l’ETA

Il faut dire que l’Espagne a toujours dû faire preuve d’ingénierie diplomatique et jongler dans ses relations avec les deux frères ennemis, l’Algérie et le Maroc. Il n’était pas question -du moins publiquement- de privilégier l’un des deux pays du Maghreb au risque de fâcher l’autre.

Lorsque l’Algérie était un sanctuaire pour les indépendantistes

Ce traité d’amitié entre l’Espagne et l’Algérie a régi pendant ces vingt dernières années la base de leurs relations bilatérales, avec d’importantes questions, telles que le contrôle des flux migratoires irréguliers, le trafic de drogue et le terrorisme. Et ce n’était pas rien!

Il faut en effet rappeler que l’Algérie constituait dans les années 80 et 90 un véritable sanctuaire pour les terroristes du monde entier, et en particulier ceux de l’ETA, pendant les années les plus sanglantes pour la jeune démocratie espagnole. Le mouvement indépendantiste canarien MPAIAC trouvait aussi refuge à Alger.

affiche du mouvement indépendantiste canarien MPAIAC
Le MPAIAC revendiquait l’indépendance des Canaries et a commis quelques attentats dans les années 80.

Espagne-Algérie: Rupture des relations commerciales 

Certes, le terrorisme de l’ETA n’est plus d’actualité. Mais, il y a tout le reste… Pour ceux qui pourraient encore penser que cette rupture du traité d’amitié n’est pas important, l’Algérie a ordonné à ses banques de geler les opérations liées au commerce extérieur avec l’Espagne, à l’exception, pour l’instant, des contrats de fourniture d’énergie. Cela signifie de facto la suspension depuis ce jeudi de toutes les opérations commerciales entre les deux pays, un coup dur pour les entreprises espagnoles qui exportent de nombreux produits manufacturés et alimentaires en Algérie, où les elles ont d’ailleurs remporté d’importants marchés publics au cours de cette décennie.

Reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental

Mais que s’est-il passé pour que l’Algérie en arrive là? Les hostilités se déclenchent après la découverte d’une lettre envoyée par Pedro Sánchez au roi du Maroc, Mohamed VI. Dans cette missive, écrite en français pour la petite histoire, Sanchez soutient ouvertement le plan d’autonomie conçu par Rabat pour l’ancienne colonie espagnole, le décrivant comme la voie “la plus sérieuse, la plus réaliste et la plus crédible” pour résoudre le conflit sahraoui.

Sanchez et le roi du Maroc se serrent la main
Pedro Sanchez et Mohamed VI lors de leur dernière rencontre en avril / Pool Moncloa-Borja Puig de la Bellacasa

Il s’agissait là d’un revirement à 180º dans la politique de Madrid vis-à-vis du Sahara Occidental. Jusqu’ici, Madrid avait toujours soutenu le droit du peuple sahraoui à décider de son propre avenir par le biais d’un référendum d’autodétermination, comme indiqué dans les résolutions des Nations Unies.

Cette lettre, immédiatement dévoilée par Rabat, provoque bien évidemment la colère de l’Algérie. Les premiers gestes sont alors diplomatiques, avec le rappel de l’ambassadeur, mais d’autres, plus graves vont suivre, qui conditionnent une partie de l’économie.

Jusqu’ici, Madrid avait toujours soutenu le droit du peuple sahraoui à décider de son propre avenir par le biais d’un référendum d’autodétermination

En effet, le deuxième coup de poing de l’Algérie sur l’échiquier géopolitique avec Espagne a été la révision à la hausse des contrats énergétiques avec Madrid et l’entrée de l’Italie comme grand rival pour supplanter l’Espagne comme future plaque tournante du sud de l’Europe pour l’approvisionnement de ses partenaires européens.

Effets collatéraux: rapprochement de l’Algérie avec l’Italie

C’est ainsi que l’Italie signe en avril une alliance énergétique avec l’Algérie qui lui permet de se distancier de l’Espagne en tant que principal partenaire européen de l’Algérie. Sonatrach, la société publique algérienne, fournira à l’italien ENI 9 milliards de mètres cubes supplémentaires par an à partir de 2023 et 2024. Cela représente un achat annuel de 30 milliards de mètres cubes de gazoducs et triple les 10 milliards de mètres cubes que reçoit l’Espagne via Medgaz, le seul gazoduc que l’Algérie a gardé ouvert avec l’Espagne après la fermeture du gazoduc Maghreb Europe à travers le Maroc.carte du réseau de gaz au Magrheb

L’Espagne ne sera pas le “hub” gazier du sud de l’Europe

Suite à ce rapprochement de l’Algérie avec l’Italie, inutile de dire que l’Espagne voit s’envoler le rêve de devenir une importante plateforme gazière alternative à la Russie, alors qu’elle possède pourtant une capacité de regazéification bien supérieure à celle de l’Italie…

L’Algérie, principal fournisseur de gaz

Rappelons par ailleurs que l’Algérie est le principal fournisseur en gaz de l’Espagne : en 2021, 42,7% du gaz naturel liquéfié (GNL) acheté par l’Espagne provenait de ce pays, selon le rapport d’Enagas “El Sistema Gasista Español” (le système gazier espagnol). Outre le gasoduc encore ouvert, l’Espagne a reçu 38 méthaniers en provenance de l’Algérie l’an passé.

Pour cette raison, le gouvernement espagnol exprime “ses regrets” et “réitère sa pleine volonté de continuer à maintenir et à développer les relations spéciales de coopération entre les deux pays, dans l’intérêt des deux peuples“. Pour le gouvernement, et malgré la dureté de la position algérienne, l’Algérie reste un “ami“.

Le Maroc est l’allié stratégique des États-Unis en Afrique du Nord et l’Algérie, le partenaire historique de la Russie dans cette zone géographique

L’Espagne cherche du gaz ailleurs

Mais face à cette crise avec l’Algérie qui couvait depuis des mois, l’Espagne, sous le prétexte de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, cherche à intensifier les relations avec d’autres fournisseurs de gaz. Une bonne nouvelle. Pour cela, Madrid vient de signer de nouveaux contrats d’approvisionnement de gaz avec deux de ses fournisseurs, le Qatar (actuellement 6,3% du gaz acheté par l’Espagne) et le Nigeria (11,4%).

L’Espagne achète de plus en plus de gaz aux États-Unis

En outre, comme le souligne le récent rapport annuel 2021 de la Seguridad Nacional (Sécurité intérieure), les méthaniers américains ne représentaient que 4% de la consommation de gaz de l’Espagne en juin 2021. Or, cette dépendance a été multipliée par six pour atteindre 24,7% à la fin de l’année. Les données de prévision de consommation pour le début de l’année 2022 de la “Corporación de Reservas Estratégicas de Productos Petrolíferos” (Cores) montrent que le poids des approvisionnements en gaz des États-Unis pour l’Espagne représentait 34,6% en janvier. Bref, du gaz bien plus cher à acheminer. Rappelons que le Maroc est l’allié stratégique des États-Unis en Afrique du Nord et que l’Algérie est le partenaire historique de la Russie dans cette zone géographique. En définitive, la décision de Pedro Sanchez chamboule non seulement l’économie domestique mais aussi le positionnement géostratégique de l’Espagne dans la région.

Source : Le petit journal

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